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Gynécologie & Sénologie

Publié le 05 mar 2019Lecture 10 min

Préservation de la fertilité en cas de cancer du sein : quelle place pour la congélation de cortex ovarien ?

Charlotte SONIGO*, Lise-Marie DURAND**, Nathalie SERMONDADE* - *Service de Médecine et Biologie de la Reproduction, Hôpital Jean-Verdier, Bondy ; **Service de Gynécologie Obstétrique, CHU de Limoges

Ces dernières décennies ont été marquées par une augmentation de l’incidence du cancer du sein, en particulier chez les femmes jeunes. D’immenses progrès diagnostiques et thérapeutiques ont permis d’en réduire la mortalité. Néanmoins, la mise en différé d’un projet de grossesse ainsi que la gonadotoxicité des traitements risquent d’induire une infertilité. Avec l’essor du domaine de l’oncofertilité, plusieurs techniques de préservation de la fertilité féminine ont été développées, qui seront idéalement mises en œuvre avant l’initiation des traitements. Parmi elles, la cryoconservation de tissu ovarien présente l’intérêt de permettre la conservation de très nombreux ovocytes au sein des follicules primordiaux et primaires situés dans le cortex. Cependant, cette procédure, encore considérée comme expérimentale, est invasive, et son efficacité réelle reste difficilement chiffrable. Dans le cadre du cancer du sein, son éventuel intérêt et sa balance bénéfices/risques restent particulièrement discutés. L’association de différentes techniques permet probablement d’augmenter l’efficacité globale de la procédure de préservation de la fertilité.

Lors de ces dernières décennies, l’incidence du cancer du sein a significativement augmenté chez les femmes jeunes. Parallèlement, les progrès diagnostiques et thérapeutiques ont permis d’en améliorer fortement les taux de survie, la question de la qualité de vie après guérison devenant ainsi centrale. Pour les jeunes femmes, la qualité de vie passe souvent par la possibilité d’accéder à la maternité, idéalement avec leurs propres gamètes. Or, le cancer va généralement différer de plusieurs années le projet parental, pendant lesquelles les patientes subiront les effets du vieillissement ovarien physiologique. De plus, les traitements utilisés, en particulier les chimiothérapies, sont potentiellement gonadotoxiques et risquent d’impacter négativement la fertilité. La fonction ovarienne résiduelle après un cancer dépend non seulement de facteurs connus (âge, réserve ovarienne initiale, nature des traitements), mais aussi d’une sensibilité imprévisible et propre à chaque patiente. Ainsi, il est actuellement extrêmement hasardeux de tenter d’identifier les patientes qui seront infertiles à l’issue de leurs traitements, et l’ensemble des sociétés savantes souligne l’importance de la systématisation de la consultation d’oncofertilité avant toute initiation d’un traitement à risque gonadotoxique(1). En France, la loi de bioéthique de 2004, modifiée par la loi 2011-814 du 7 juillet 2011 prévoit également que « toute personne peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de tissu germinal, en vue de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité, lorsqu’une prise en charge est susceptible d’altérer sa fertilité » (article L. 2141-11 du Code de la santé publique). Différentes techniques de préservation de la fertilité (PF) féminine ont été développées, dont certaines sont encore considérées comme expérimentales. Ainsi, peuvent être proposées des techniques issues de l’Assistance médicale à la procréation (AMP), telles que la congélation ovocytaire après stimulation ovarienne ou maturation ovocytaire in vitro (MIV), ou la congélation de cortex ovarien après prélèvement chirurgical en vue de son éventuelle greffe. Dans le cas particulier du cancer du sein, plusieurs problématiques sont à prendre en considération dans la discussion du choix de la (des) technique(s) à privilégier. En particulier, la place du prélèvement de tissu ovarien en vue de sa congélation est largement débattue au regard de sa balance bénéfices/risques. Cryoconservation de cortex ovarien Description L’objectif de la congélation de tissu ovarien est de conserver un grand nombre de follicules primordiaux présents au niveau du cortex ovarien en vue d’une éventuelle greffe, si la fonction ovarienne s’avère altérée après la fin des traitements gonadotoxiques. Un ovaire entier ou un lambeau de tissu est prélevé par cœlioscopie, sous anesthésie générale. Au laboratoire, le cortex ovarien est isolé de la médullaire puis congelé sous forme de fragments d’environ 1 cm2, généralement par une technique de congélation lente, puis stockés à -196 °C. Lors de la réutilisation, les fragments sont décongelés puis greffés en site orthotopique (fossette ovarienne, cavité péritonéale ou sur ovaire restant) ou, plus rarement, en site hétérotopique (avant-bras, paroi abdominale). La première naissance vivante après greffe de tissu ovarien congelé a été rapportée en 2004(2). Depuis, les dernières séries publiées font état de 86 enfants nés après greffe, naturellement ou après fécondation in vitro (FIV)(3) et d’une efficacité qui avoisinerait les 20 à 30 % de grossesse par greffe(4). Avantages Cette stratégie permet de conserver un très grand nombre d’ovocytes, au sein de follicules primordiaux et primaires, seuls stades résistant aux étapes de congélation-décongélation. La greffe des fragments décongelés permet une reprise de la folliculogenèse au niveau du greffon, et possiblement au niveau de l’ovaire greffé. Une ou plusieurs grossesses sont donc possibles(5), de façon naturelle ou avec recours à l’AMP. De plus, bien que temporaire, elle permet également la restauration d’un fonctionnement ovarien endocrine(6). Par ailleurs, il s’agit d’une technique disponible chez les jeunes filles prépubères, permettant l’induction de la puberté après greffe(7), ainsi que l’obtention de grossesses avec naissance(8). La congélation de tissu ovarien est réalisable quelle que soit la phase du cycle ovarien et ne nécessite pas de traitement hormonal préalable. Elle est ainsi programmable en urgence, notamment lorsqu’un traitement fortement gonadotoxique doit être initié rapidement. Elle peut être associée à un recueil d’ovocytes immatures en vue de maturation in vitro (MIV) soit par ponction transvaginale, soit par prélèvement sur issu (MIV ex vivo), que les patientes soient pubères ou non(9). Enfin, il s’agit de la seule technique réalisable lorsque la chimiothérapie a déjà été initiée, puisque les risques mutagènes et clastogènes décrits pour les ovocytes des follicules en cours de croissance ne concerneraient pas les ovocytes des follicules de réserve. Inconvénients Cette technique nécessite un geste chirurgical sous anesthésie générale, avec les risques opératoires qui en découlent(10). Elle ampute une partie de la réserve ovarienne, ne se justifiant donc théoriquement qu’en cas de chimiothérapie à haut risque gonadotoxique. La survie folliculaire après les étapes de congélation-décongélation est d’environ 50 %(11), un risque de perte folliculaire supplémentaire pouvant aussi survenir lors de la greffe par hypoxie du tissu ovarien liée au délai de néovascularisation. L’efficacité de la procédure est donc très incertaine en cas de réserve ovarienne déjà altérée, en particulier pour les femmes âgées de plus de 37 ans, pour lesquelles cette technique n’est donc généralement pas recommandée. Enfin, il existe un risque de présence de cellules malignes dans l’ovaire, faisant ainsi courir un risque de réintroduction de la pathologie initiale lors de la greffe. Ce risque est variable selon les types de cancer ; il est notamment considéré comme élevé en cas de neuroblastome ou de certaines hémopathies malignes. Dans ces situations, la réutilisation des fragments ovariens est donc contre-indiquée tant que les alternatives à la greffe, telles que la folliculogenèse in vitro ou l’ovaire artificiel, ne seront pas disponibles. Place de la congélation de cortex ovarien pour PF en cas de cancer du sein Problématiques de la PF en cas de cancer du sein La mise en œuvre de techniques de PF dans le contexte du cancer du sein soulève plusieurs problématiques spécifiques. Tout d’abord, elle nécessite de tenir compte de l’hormono-dépendance de la tumeur, qui peut limiter le recours à la simulation ovarienne en vue de cryoconservation ovocytaire. En effet, les protocoles de simulation ovarienne requièrent l’utilisation de gonadotrophines exogènes, dont l’innocuité a pu être discutée, les cellules cancéreuses mammaires exprimant des récepteurs à la LH(12). Cependant, les données des études in vitro évaluant l’impact de ces molécules sont rassurantes(13). De plus, la simulation ovarienne induit une exposition à des concentrations d’estradiol 10 à 20 fois supérieures à celles observées au cours d’un cycle naturel, ce qui soulève des réticences légitimes en cas de tumeur estrogénodépendante. L’effet réel d’une élévation importante, mais transitoire, étant difficile à évaluer, des protocoles spécifiques ont été développés, utilisant des molécules ani-aromatase telles que le létrozole, et permettant de limiter drastiquement le taux d’estradiol circulant sans altérer le nombre ou la qualité des ovocytes obtenus(14). Néanmoins, 10 à 15 jours de simulation restent nécessaires pour l’obtention des ovocytes matures, délai qui n’est pas toujours compatible avec l’urgence de l’initiation de la chimiothérapie. Dans ces situations, la technique de MIV présente les avantages d’être réalisable en urgence, sans traitement préalable et sans induction d’hyperestrogénie. Cependant, peu de recul est disponible concernant cette technique en PF, et aucune grossesse après cancer du sein n’a pour l’instant été rapportée. La qualité des ovocytes issus de MIV étant inconnue, il est probable que le nombre d’ovocytes nécessaires à l’obtention d’une grossesse soit supérieur à celui après simulation ovarienne. Cette technique trouve alors son intérêt essentiellement chez les femmes présentant une bonne réserve ovarienne (compte des follicules antraux > 20 et AMH > 3,7 ng/ml)(15). Dans ce contexte, la cryoconservation de tissu ovarien offre les mêmes avantages que la MIV (programmation en urgence et sans traitement hormonal préalable) ; elle est donc envisageable chez les patientes présentant une tumeur hormonosensible en situation adjuvante ou néoadjuvante. Cependant, des questions restent en suspens. Du fait de la diminution de la réserve ovarienne avec l’âge, l’âge limite pour proposer une cryoconservation de tissu ovarien est débattu dans la littérature(16). De même, l’efficacité de cette technique en cas de baisse de réserve non liée à l’âge n’est pas connue. Enfin, bien que le risque de micro-métastases ovariennes semble limité en l’absence de maladie systémique, il n’est pas nul en cas de cancer du sein(17) et le risque de réintroduction de cellules tumorales doit être pris en considération en cas de cryoconservation de tissu ovarien. Cas particulier des patientes mutées BRCA Les patientes présentant une mutation d’un gène BRCA représenteraient environ 10 % des jeunes femmes atteintes d’un cancer du sein. Dans ce contexte la PF présente plusieurs particularités. Plusieurs auteurs ont rapporté une diminution de la réserve ovarienne, avec un âge de survenue de la ménopause plus précoce et un nombre d’ovocytes récupérés lors des procédures de préservation de la fertilité inférieur à celui des patientes non mutées(18). Cependant, ces données sont controversées(19). De plus, la prise en charge des patientes mutées intègre parfois une annexectomie bilatérale prophylactique vers l’âge de 40 ans, ce qui plaide en faveur de la mise en place de stratégie de PF. Néanmoins, il convient de rappeler le risque de 50 % de transmission de la mutation en cas de réutilisation des ovocytes, alors même que les mutations des gènes BRCA ne rentrent actuellement pas dans les indications du diagnostic préimplantatoire (DPI) en France. La cryoconservation de tissu ovarien dans ce contexte constitue un enjeu particulier puisque la greffe d’un issu potentiellement à risque carcinogène est contre-indiquée, posant donc la question de la pertinence du prélèvement de tissu ovarien. Or, pour la majorité des patientes, le diagnostic de mutation BRCA n’intervient que plusieurs mois après le diagnostic de cancer et donc bien après la cryoconservation. Idéalement, les patientes devront donc avoir été préalablement informées de ce point et des potentiels risques liés à la réutilisation. Conclusion La préservation de la fertilité est devenue fondamentale dans la prise en charge multidisciplinaire des jeunes patientes dont les traitements pourraient altérer la fonction de reproduction. Bien que théoriquement peu gonadotoxiques, les traitements du cancer du sein sont pourvoyeurs d’infertilité. À l’heure où l’ensemble des données semble indiquer qu’il n’y a pas de raison médicale de s’opposer à l’obtention d’une grossesse après la guérison d’un cancer du sein, les stratégies de PF trouvent tout leur sens. Si la stimulation ovarienne avec cryoconservation ovocytaire devrait toujours être privilégiée en raison de son caractère non expérimental et de son efficacité largement documentée, la cryoconservation de tissu ovarien a probablement sa place dans l’arsenal thérapeutique, de préférence en association à une autre technique, afin d’optimiser les chances de grossesse. En pratique La cryoconservaion de issu ovarien présente l’avantage de pouvoir être réalisée en plusieurs temps au cours de la prise en charge en PF. En effet, le prélèvement de cortex peut être prévu avant la chimiothérapie néo-adjuvante, éventuellement dans le même temps opératoire qu’un prélèvement ovocytaire en vue de MIV, notamment lorsque le nombre d’ovocytes attendus en MIV est relativement faible (baisse de réserve ovarienne) ou que la patiente est très demandeuse d’associer les 2 techniques pour optimiser ses chances de grossesse. La congélaion de cortex peut également se concevoir dans un deuxième temps, par exemple en cas de résultat considéré comme non optimal de la stratégie initiale de congélation ovocytaire, éventuellement alors même qu’une première ligne de chimiothérapie a déjà été réalisée. Le protocole FEC-Taxotère, classiquement utilisé dans le cadre du cancer du sein, présente une toxicité considérée comme modérée, ou tout au moins très variable selon les patientes. Ainsi, l’atteinte du stock folliculaire par la cryoconservation de tissu ovarien ne doit pas nuire aux chances de récupération spontanée de la fonction ovarienne après traitement. Un compromis envisageable en cas de cancer du sein peut être de prélever un lambeau ovarien, plutôt qu’un ovaire entier, ce qui permet généralement de conserver 6 à 10 fragments de 1 cm2, tout en évitant d’amputer une trop grande partie de la réserve ovarienne(10,11). Compte tenu du caractère expérimental de la technique et de l’incertitude quant à son efficacité réelle, il ne semble pas légitime de proposer une cryoconservaion de tissu ovarien de façon isolée. Idéalement, la cryoconservation ovocytaire doit être privilégiée lorsqu’elle est possible(20). Lorsqu’une stimulaion ovarienne est réalisée, il est couramment admis que le prélèvement de cortex ovarien en vue de congélation n’est pas conseillé après celle-ci, en raison de risques hémorragiques et de modifications de l’architecture histologique de l’ovaire pouvant compromettre l’efficacité de la congélation puis de la greffe ultérieure du tissu. Certains auteurs ont donc proposé de placer la simulation ovarienne après l’ovariectomie ou le prélèvement de lambeau ovarien, avec des résultats en termes de nombre d’ovocytes recueillis et congelés comparables à ceux du groupe n’ayant pas subi d’ovariectomie pour cryoconservation. Ces données devront néanmoins être confirmées sur des effectifs plus importants. En situation néo-adjuvante, ou en cas de contre-indication à la stimulation ovarienne, le prélèvement folliculaire en vue de MIV suivi d’une vitrification ovocytaire semble être une possibilité réalisable sans difficulté technique particulière, mais avec un recul en termes d’efficacité encore insuffisant. Publié dans Gynécologie Pratique"

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