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Pneumologie

Publié le 13 mai 2019Lecture 8 min

Tabagisme, BPCO et cancer bronchique

Gérard PEIFFER*, Michel UNDERNER**, Jean PERRIOT** - *CHR Metz-Thionville€ ; **CHU Henri-Laborit, Poitiers€ ; ***Dispensaire Émile-Roux, Clermont-Ferrand

En France, « la guerre au tabac » a été déclarée par Jacques Chirac dans le cadre du premier Plan cancer en 2002. Depuis cette date, la dénormalisation du tabagisme s’est largement développée. Le rôle des politiques gouvernementales dans ce contexte est fondamental, en exemple l’évolution de la prévalence du tabagisme aux États-Unis(1) sous les présidences successives de Clinton, Bush puis Obama (figure 1).

Figure 1. Prévalence du tabagisme chez les fumeurs américains ajusté sur l’âge, d’après M.C. Fiore(1). BPCO et tabagisme En introduction, C.A. Jimenez Ruiz a rappelé la revue générale consacrée au sevrage tabagique chez les patients atteints de BPCO publiée dans l’European Respiratory Journal en 2015(2). Le sevrage tabagique est la seule mesure qui limite le déclin du VEMS et améliore la réponse aux bronchodilatateurs (et aux corticoïdes inhalés, quand ils sont requis). Le sevrage réduit aussi l’incidence des exacerbations et des infections respiratoires. Les fumeurs atteints de BPCO présentent un degré de dépendance plus élevé que les patients non BPCO, comme l’atteste deux études(3,4) (tableau). Ils fument plus (nombre de cigarettes) et inhalent un volume de fumée plus important et plus profondément. S’ils ont la même motivation à s’arrêter, que les fumeurs non BPCO, leurs « confiance en soi» et «estime de soi » sont inférieures. Par ailleurs, ils sont fréquemment dépressifs : dans l’étude de T.P. Ng et coll., chez des patients BPCO hospitalisés, le taux de dépression atteint 44 %(5), avec un impact négatif sur le sevrage. Il est donc intéressant d’utiliser régulièrement le test HAD en 14 questions(6) pour évaluer la pré sence de ces facteurs anxio-dépressifs. À partir d’un score anxiété (A) ou d’un score dépression (D) > 10, une prise en charge spécifique est indiquée. Une éventuelle prise de poids à l’arrêt doit être surveillée, sur tout chez les patients déjà en surpoids ou obèses. Au moment du sevrage, l’histoire tabagique du patient est précisée (nombre de cigarettes fumées/jour, nombre d’années de tabagisme, mesure du CO expiré, reflet de la profondeur de l’inhalation), évaluer la motivation d’arrêt (« Quelle importance, pour vous, d’arrêter votre consommation de tabac ? », le niveau de « confiance en soi » (échelle visuelle analogique de 1 à 10). L’évaluation de la dépendance physique (la question la plus importante : quel délai entre votre réveil et la 1re cigarette ?) et psycho-comportementale est importante. Il faut aussi analyser les tentatives d’arrêt antérieures (raisons de la rechute, traitements antérieurs) et rechercher un syndrome anxio-dépressif. La prise en charge dépend des désirs du patient (figure 2). Figure 2. Algorithme du sevrage tabagique chez les patients BPCO, d’après la communication de C.A. Jimenez-Ruiz. • Si l’arrêt complet est souhaité, l’association d’un soutien psychologique (avec si possible des thérapies cognitivo-comportementales [TCC]) et d’un traitement médicamenteux constituent l’aide la plus efficace : les traitements de substitution nicotinique (TSN) en première ligne (subventionnement de 150 € pour l’instant, en France), la varénicline (voire le bupropion) en seconde ligne, si échecs des précédents. En cas d’échec antérieur du sevrage, C.A. Jimenez-Ruiz et coll. recommandent soit des TSN à forte dose, associant patch et formes orales ad libitum, voire un prétraitement par TSN pendant une quinzaine de jours, précédant la date d’arrêt. La varénicline peut aussi être envisagée en prétraitement pendant plusieurs semaines (jusqu’à 4 semaines) avant la date d’arrêt, puis poursuivie 12 semaines et éventuellement 12 semaines supplémentaires. La bonne tolérance neuropsychiatrique de la varénicline vient d’être réévaluée avec l’étude EAGLES(7). Ce médicament est maintenant remboursé en France. C.A. Jimenez-Ruiz et coll. indiquent aussi la possibilité, dans certains cas plus rares, d’associer la varénicline soit avec le bupropion, soit avec des TSN (ce qui est théoriquement non recommandé vu l’effet pharmacologique de la varénicline [agoniste partiel], compétitif de la nicotine [agoniste complet]). Le bupropion peut également être envisagé pendant une durée de 24 semaines, seul ou associé aux TSN. • Si la réduction initiale du tabagisme est souhaitée, l’association d’un soutien psychologique (expliquant le processus de diminution progressive du nombre de cigarettes quotidiennes – dans l’idéal une réduction rapide d’au moins 50 % – visant ensuite à un arrêt complet, objectif final), et de pharmacothérapies est recommandée : soit TSN, soit varénicline. La mesure répétée du CO expiré confirme l’authentique réduction. Répondant aux questions, C.A. Jimenez-Ruiz signale commencer la réduction chez un fumeur de 40 cigarettes/j par des gommes 4 mg (une gomme 4 mg correspond pour lui à une réduction initiale de 2 cigarettes/j). Puis quand il reste environ 10 cigarettes/j, une gomme 4 mg sera requise cette fois pour entraîner la diminution d’1 cigarette/j. Il propose toujours d’éliminer d’abord les cigarettes les « plus faciles » et de tenter de retarder la première cigarette du matin et de stopper de fumer le plus tôt possible le soir. Le patch serait, pour lui, recommandé plutôt pour les dernières cigarettes, ce qui n’est pas le schéma le plus classique. Le rapport coût-efficacité très favorable du sevrage tabagique est également souligné par S. Andreas, rapportant une étude finlandaise de Koskenvuo(8) sur des jumeaux : les fumeurs par rapport aux non-fumeurs génèrent des coûts de santé directs et indirects énormes, avec mise en invalidité nettement plus fréquente chez les jumeaux fumeurs par rapport aux non-fumeurs (figure 3). Figure 3. Risque de BPCO en fonction de l’âge et du niveau de tabagisme (étude de cohorte de jumeaux en Finlande), d’après K. Koskenvuo et coll(8). Cancer bronchique et tabagisme S’intéressant à l’importance du sevrage tabagisme chez le pa tient atteint de cancer bronchique, K.E. Lewis rappelle l’effet favorable du sevrage sur la survie des patients atteints de cancer du poumon, qui est connu de longue date(9) : la poursuite du tabagisme est un facteur indépendant de mauvais pronostic, quelle que soit l’histologie (p = 0,001). Ceci est confirmé par l’étu de récente de K.A. Dobson Amato et coll.(10), avec survie médiane augmentée de 9 mois chez les patients cancéreux sevrés par rapport aux toujours fumeurs (HR = 1,79 [1,14-2,82]) (figure 4). En Grande-Bretagne, en 2012, pays où la prévalence du tabagisme a beaucoup diminué, au moment du diagnostic de cancer bronchique, 47 % des patients sont fumeurs(11). Figure 4. Survie en fonction du tabagisme chez des patients atteints de cancer du poumon, d’après K.A. Dobson Amato et coll.(10). Pourquoi le sevrage du tabac est-il recommandé chez le patient atteint de cancer du poumon ? • En raison d’effets biologiques directs du tabagisme sur la tumeur : l’intégrité de l’ADN (alkylation) est altérée, l’angiogenèse est majorée, le système immunitaire anti-tumoral est déprimé, facilitant la croissance des tumeurs primaires et secondaires. • En raison des effets généraux : le tabagisme altère la qualité de vie(12), favorise la BPCO et ses comorbidités, en particulier cardiovasculaires. • En raison des problèmes thérapeutiques : plus de complications après la chirurgie, une radiothérapie moins efficace et moins bien tolérée(13), la modification du métabolisme de certaines chimiothérapies. En Grande-Bretagne, K.E. Lewis présente les résultats de LungCast, étude longitudinale, prospective, multicentrique (33 hôpitaux). Son objectif est de vérifier si le statut tabagique, après le diagnostic d’un cancer du poumon, est un facteur indépendant influençant la survie. Parmi les 1 126 patients inclus, les patients atteints de cancer du poumon « toujours fumeurs » sont globalement plus jeunes que les « jamais fumeurs » (p = 0,04) et que les anciens fumeurs (p < 0,01). Malgré leur plus jeune âge, ces « toujours fumeurs » ont leur qualité de vie plus altérée. À un an, la survie est significativement diminuée chez les « toujours fumeurs »: 68 % des fumeurs qui ont stoppé le tabagisme, après le diagnostic du cancer bronchique, sont en vie, alors que seulement 56 % des « toujours fumeurs » l e sont (p = 0,019). Trois variables sont prédicateurs de la survie à un an : le stade TNM, l’indice ECOG et le statut tabagique à 3 mois. Seul ce dernier facteur est modifiable. En conséquence, le sevrage tabagique devrait être plus systématiquement proposé à ces patients (et leur famille), avant la chirurgie si elle est indiquée et /ou avant ou au moment de démarrer l’administration du traitement de chimiothérapie. La mesure systémique du CO expiré, utile à chaque consultation en tabacologie, est un outil motivationnel, objectivant en 24 à 48 heures d’arrêt du tabac, la normalisation des valeurs du CO(14). Toute nouvelle, l’étude de C. Koshiaris et coll.(15) confirme ces données : chez les patients atteints de cancer bronchique, qui s’arrêtent de fumer, la mortalité toutes causes est significativement abaissé (HR : 0,82 [0,74- 0,92]. Conclusion En pneumologie, chez les patients atteints de cancer et/ou de BPCO, le sevrage du tabac apparaît comme une mesure fondamentale. Les résultats de Lung Health Study(16), rappelés par S. Andreas, indiquent qu’après un suivi de 14,5 ans la mortalité toutes causes est significativement diminuée parmi le groupe intervention des patients BPCO sevrés (sevrage tabagique avec prise de thérapie de substitution nicotinique [TSN] ad libitum) par rapport au groupe témoins restés fumeurs. Le sevrage du tabac impacte également les comorbidités de la BPCO, comme détaillé récemment par K.F. Rabe et coll.(17) (figure 5). Figure 5. Conséquences du tabagisme, d’après K.F. Rabe et coll.(17). Chez les fumeurs dépendants, comme évoquée par C. Jimenez Ruiz et K.E. Lewis, la mise en place d’un accompagnement psychologique associé à un traitement médicamenteux (par TSN et/ou varénicline) est recommandée et efficace pour réduire l’envie de fumer, soulager les symptômes de sevrage et prévenir les rechutes. S. Andreas explique que plus la formation des professionnels de santé au sevrage est assurée, plus la fréquence de prescription des TSN est augmentée et in fine les taux d’abstinence améliorés(18). À un an d’arrêt du tabac, la méta-analyse de G. Taylor et coll.(19) confirme une diminution des niveaux de dépression, d’anxiété et de stress chez les non-fumeurs/fumeurs persistants. Au bout d’une année, l’arrêt du tabac a un effet équivalent à un antidépresseur. Période de mutations, parallèlement à la désaffection croissante de la cigarette aux États-Unis, comme dans nos régions, une série d’autres produits dérivés du tabac y connaissent un succès croissant. Il faudra compter sur les futures commercialisations des nouveaux produits (tabac chauffé) et se baser sur les données de près de 46 000 adultes et jeunes de 12 ans et plus(20), 40 % de ces consommateurs de tabac utilisaient plusieurs de ces produits, la combinaison cigarette classique et électronique étant la plus fréquente (figure 6). Figure 6. Consommation et combinaison des différents produits dérivés du tabagisme chez l’adulte (A) ou chez le jeune (B), d’après K.A. Kasza et coll.(20). • D’après les communications de C.A. Jimenez-Ruiz (Espagne) “Smoking cessation in COPD patients (with comorbidities)”, S. Andreas (Allemagne) “Smoking cessation: key for both COPD and cardiovascular disease, but how to manage it ?”, K.E. Lewis (Royaume-Uni) “Smoking cessation in lung cancer patients”, dans le cadre de l’ERS 2017 Liens d’intérêts :  G. Peiffer déclare participer à des interventions ponctuelles pour McNeal SF, Novartis SF, Pierre Fabre, Pfizer. M. Underner déclare participer à des interventions ponctuelles pour Novartis SF, Pierre Fabre et Pfizer. J. Perriot déclare participer à des interventions ponctuelles pour GSK, Pierre Fabre, Novartis SF. "Publié dans OPA Pratique"

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