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Gynécologie & Sénologie

Publié le 17 mai 2023Lecture 7 min

Lymphœdèmes après traitement de cancers pelviens

Stéphane VIGNES, Unité de Lymphologie, Centre de référence des lymphœdèmes primaires, Hôpital Cognacq-Jay, Paris

Les traitements des cancers gynécologiques et pelviens peuvent se compliquer de lymphœdèmes des membres inférieurs et des organes génitaux externes. Il est important de pouvoir expliquer au patient cette complication et de mettre en place un traitement adapté, en favorisant l’autonomie par l’éducation thérapeutique. Un suivi régulier est nécessaire pour maintenir l’observance et la motivation pour traiter le lymphœdème, qui à ce jour, encore, est une maladie chronique.

Les lymphœdèmes sont dus à un dysfonctionnement du système lymphatique, qui entraine une augmentation du volume du ou des membres atteints. Ils sont classés en formes primaires, liées à une anomalie constitutionnelle, parfois génétiques et familiales, et en formes secondaires, en particulier après traitements de cancers : sein pour le membre supérieur, le plus fréquent dans les pays industrialisés, et gynécologiques et pelviens pour les membres inférieurs. Le lymphœdème comprend une partie liquidienne, la lymphe, qui est minoritaire – comme le mot lymphœdème ne l’indique pas – par rapport aux composantes tissulaires (augmentation de l’épaisseur cutanée et du tissu adipeux) liées à la stase lymphatique persistante(1). Cette pathologie chronique ne peut pas guérir mais le traitement est nécessaire pour réduire le volume, éviter l’aggravation, réduire les complications et améliorer la qualité de vie.   Quels cancers pelviens sont concernés ? Les cancers gynécologiques (col utérin, endomètre, ovaires, vulve) et pelviens (prostate, anus) peuvent se compliquer de lymphœdèmes des membres inférieurs. Comme le traitement est médian, abdomino-pelvien, le lymphœdème peut toucher un membre inférieur ou les deux, de façon symétrique ou non, et surtout avec une atteinte qui peut s’étendre dans le temps (uni- vers bilatérale), et l’espace (de la cuisse vers le pied) (figure 1). De plus, ces lymphœdèmes peuvent toucher les organes génitaux externes, le pelvis et l’abdomen, compliquant le traitement compressif (figure 2). La fréquence des lymphœdèmes après cancers gynécologiques est par ordre décroissant : vulve, col utérin, endomètre, ovaires. Cependant, cette fréquence est difficile à estimer car il n’existe pas de définition consensuelle – à la différence du membre supérieur – les cancers et leurs traitements sont différents : la chirurgie avec curage ganglionnaire est constante, mais la curiethérapie et la radiothérapie externe concerne surtout le cancer du col utérin, et la chimiothérapie quasi systématique pour les ovaires. La seconde difficulté pour poser le diagnostic est l’absence de membre comparateur — comme pour le cancer du sein — car le lymphœdème est souvent bilatéral. L’idéal serait d’avoir des mesures préthérapeutiques comparatives. C’est la raison qui explique qui entraîne de grandes variations dans les données de la littérature. Globalement, la fréquence est estimée à 24 % des femmes traitées pour un cancer gynécologique(2). Comme les mesures objectives sont absentes, les études utilisent fréquemment des critères subjectifs (lourdeurs, pesanteur) pour apprécier le lymphœdème(3). Dernier élément, en cas d’atteinte exclusivement proximale (cuisse), il n’y a pas de signe de Stemmer – impossibilité de plisser la peau de la face dorsale du 2e orteil ou sa base – qui permet de confirmer le diagnostic. Le délai de survenue du lymphœdème est plutôt court, dans les 12 à 18 mois qui suivent le traitement, mais peut être plus long. Les facteurs de risque comprennent le curage ganglionnaire pelvien (plus le nombre de ganglion enlevé est important plus le risque augmente), la curiethérapie, la radiothérapie externe pour le cancer du col utérin, l’obésité pour le cancer de l’endomètre et le curage pelvien pour le cancer de l’ovaire et un stade FIGO élevé tous cancers gynécologiques confondus(4). Figure 1. Lymphœdème unilatéral droit après cancer de l’ovaire chez une femme de 59 ans. Figure 2. Lymphœdème bilatéral des membres inférieurs avec atteinte du pubis (flèche) après traitement d’un cancer du col utérin chez une femme de 72 ans.   Quelles sont les impacts du lymphœdème ? Chez les femmes – il s’agit de la majorité des patients – traitées pour un cancer gynécologique, l’impact est majeur. D’une part, la féminité a été atteinte par le cancer et son traitement, et le lymphœdème, séquelle du traitement, altère également l’image corporelle et la sexualité. Ces lymphœdèmes, qui touchent les membres, atteignent aussi les organes génitaux externes (petites et grandes lèvres), le pubis et peuvent localement être associés à une hypertrophie cutanée, des vésicules lymphatiques, sources d’écoulements invalidants, potentielles portes d’entrée pour les érysipèles. Chez les hommes, les cancers de la prostate peuvent aussi entrainer des lymphœdèmes des membres inférieurs associés à une atteinte génitale (verge, scrotum). Dans tous les cas, les activités physiques, la marche, les rapports sexuels peuvent être perturbés par l’hypertrophie tissulaire du lymphœdème, les écoulements de lymphe et par la gêne induite liée à l’aspect esthétique.   Principale complication Le lymphœdème est la principale complication du traitement des cancers gynécologiques et l’érysipèle – aussi appelé dermo-hypodermite bactérienne non nécrosante – la principale complication des lymphœdèmes. Environ 40 % des patients ayant un lymphœdème des membres inférieurs auront dans leur vie au moins un érysipèle(5). Le traitement est bien codifié avec une antibiothérapie de 7 jours, soit par amoxicilline, 50 mg/kg (max : 6 g/j) par jour en 3 prises, soit pristinamycine, 3 g par jour en 3 prises(6). Les portes d’entrée ne sont pas toujours retrouvées : intertrigo interdigital, fissure des hyperkératoses des talons, piqûre d’insecte, vésicules… Les érysipèles peuvent être récidivants et nécessiter une antibioprophylaxie prolongée (12-24 mois) basée sur la benzathine-benzylpénicilline par voie IM ou la phénoxyméthylpénicilline par voie orale. En cas de suspicion d’allergie à la pénicilline, il est indispensable de demander des tests allergologiques pour confirmer ou non l’allergie.   Réduction de volume du lymphœdème Le traitement du lymphœdème est appelé physiothérapie décongestive complète(7). Elle comprend deux phases distinctes : la première, dite intensive, est destinée à réduire le volume du lymphœdème et la seconde, destinée à maintenir le volume réduit. La première phase est basée sur la réalisation de bandages monotypes (un seul type de bande) multicouches avec des bandes à allongement court (< 100 % : Rosidal K®, Comprilan®, Biflexideal®) mis en place par un kinésithérapeute, conservés 24h/24 et renouvelés toutes les 24/48 heures (figures 3 et 4). Ces bandages, traitement de référence, permettent de réduire le volume de 30 à 40 %, la seule composante liquidienne, avec une durée de traitement de 2 à 3 semaines. Il est nécessaire d’apprendre ces bandages au patient, voire à l’entourage, dans le cadre d’un programme d’éducation thérapeutique déclaré à l’ARS, pour les poursuivre dans la phase d’entretien avec une fréquence de 3 par semaine la nuit en complément du port de la compression la journée. Des tutoriels de bandages permettent de revoir la technique à distance de l’apprentissage(8). Figure 3. Mise en place de plusieurs couches de bande à allongement court (Comprilan®) sur un capitonnage de Mobiderm® pour un lymphœdème secondaire du membre inférieur gauche ; bandage des orteils avec des bandes Biflexidéal® de 3 cm de large. Figure 4. Bandage peu élastique du membre inférieur gauche complet pour un lymphœdème après cancer de l’ovaire chez une femme de 63 ans.   Stabilisation du volume du lymphœdème La phase d’entretien est basée sur le port de compression élastique, du matin au soir, le plus souvent sur-mesure, sous forme de bas cuisse (préférable aux chaussettes) autofixant, de classe 3 (20-36 mmHg). Il est souvent nécessaire de superposer deux compressions pour obtenir le maintien du volume [classe 3 + 3, 3 + 4 (pression > 36 mmHg), voire 4 + 4]. Il est préférable de prescrire des pieds fermés pour ne pas aggraver le lymphœdème des orteils avec le risque d’apparition de vésicules avec des écoulements invalidants. Ces compressions sont adaptées pour les membres inférieurs mais peu pour les atteintes pelviennes et génitales, fréquemment associées. Les collants de classe élevée (3 ou 4) sont difficiles à enfiler et peu compressifs au niveau pelvien. Il existe des dispositifs spécifiques avec des pantys ou des shorts compressifs, pour les lymphœdèmes génitaux des femmes et des femmes, non pris en charge par l’Assurance Maladie. Le recours à un orthésiste ou pharmacien orthopédiste est nécessaire pour délivrer les compressions avec leur remplacement tous les 3 à 4 mois.   Quelle place pour la chirurgie ? Il en existe deux grands pour les lymphœdèmes : les chirurgies de reconstruction (anastomoses lympho-veineuses, transfert ganglionnaire autologue), dont l’objectif est de recréer une fonction lymphatique la plus physiologique possible et les chirurgies de résection destinées à enlever les tissus lymphœdémateux (résection cutanée, liposuccion). Dans les lymphœdèmes secondaires après traitement de cancer, seules les chirurgies de résection sont utilisées dans deux indications : la résection des excès cutanés après la physiothérapie et la résection de peau lymphœdémateuse (exérèse-plastie) des organes génitaux externes (scrotum, petites/grandes lèvres). Cette chirurgie, peu douloureuse, est réalisée en ambulatoire, sans complication spécifique (en particulier sans écoulement ou retard de cicatrisation). Cependant, comme il s’agit d’un traitement symptomatique, le traitement par compression et bandages peu élastiques doit toujours être maintenu et le lymphœdème peut, malgré tout, réaugmenter et nécessiter de nouvelles résections cutanées.   Autres éléments du traitement Des soins de peau avec hydratation cutanée, traitement des intertrigos interdigitaux, soins de pédicurie/podologie sont nécessaires. Les drainages lymphatiques manuels, prescription la plus fréquente pour les lymphœdèmes, réalisés par un kinésithérapeute formé à ces techniques, n’ont pas d’impact sur le volume mais peuvent apporter un certain confort et bien-être. Ils pourraient avoir un effet additif avec les bandages sur les petits lymphœdèmes et sont utiles pour les lymphœdèmes du pubis. Ils restent facultatifs en phase d’entretien. Toutes les activités physiques, sans restriction médicale pour le lymphœdème, sont possibles et font partie à part entière du traitement. De même la stabilisation du poids ou la perte de poids si nécessaire, sont des éléments essentiels de la prise en charge. Il est important de rappeler qu’il n’y a pas de contre-indication spécifique pour les vaccinations. L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt concernant cet article.

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