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Cancérologie générale

Publié le 25 mar 2024Lecture 10 min

Portage d’HPV et cancers de l’oropharynx de la virologie à l’éthique, en passant par la sociologie

Daniel ROTTEN, Paris

La responsabilité des HPV dans la genèse des cancers anogénitaux tant chez la femme (col, vagin, vulve, anus) que chez l’homme (pénis, anus) est établie. Leur responsabilité dans la genèse des cancers de la sphère ORL est l’objet d’une attention accrue du fait de l’augmentation de ces derniers.

On distingue les cancers ORL habituellement en deux groupes : les cancers de l’oropharynx (base de la langue, voile, amygdales palatines et linguales) et les cancers de la cavité buccale (lèvres, langue libre, gencives, face interne des joues, palais osseux). Les HPV sont impliqués essentiellement dans la genèse des cancers de l’oropharynx, mais aussi dans celle des cancers de la cavité buccale. Les cancers ORL sont majoritairement des carcinomes épidermoïdes (NCI). Les lésions naissent généralement au niveau de l’épithélium des cryptes des amygdales palatines et linguales, de la base de la langue, du voile du palais et du mur postérieur du pharynx. Du fait de ces localisations, elles sont difficiles à visualiser et le diagnostic des tumeurs est souvent fait à un stade avancé.   HPV et épidémiologie des cancers ORL   Chez la femme, l’incidence des cancers ORL est faible comparée avec la sphère anogénitale, tant en nombre absolu de lésions qu’en pourcentage des cancers liés à aux HPV (figures 1 et 2). Figure 1. Nombre annuel de cancers attribuables aux HPV (USA, 2014, adultes de 30 ans et plus). [Islami] La figure montre le nombre annuel de cancers attribuables aux HPV, par sexe et par localisation, observés aux USA en 2014 (adultes de 30 ans et plus). (O-P : oropharynx ; CB : cavité buccale). Figure 2. Répartition des cancers attribuables aux HPV, par sexe et localisation. La figure montre la répartition des cancers attribuables aux HPV, par localisation et par sexe. Mêmes population et légendes que la figure 1.   Chez les hommes, l’incidence totale des cancers liés aux HPV est deux fois moins élevée que chez les femmes, mais près des deux tiers concernent la sphère ORL. Ainsi, l’incidence des cancers ORL liés à l’HPV chez l’homme est plusieurs fois supérieure à celle des cancers du pénis liés à l’HPV (figures 1 et 2). Dans les pays développés, l’incidence des cancers de la sphère anogénitale féminine paraît en plateau depuis quelques années. Ce résultat a été obtenu grâce à la conjonction du dépistage des HPV et des lésions précurseurs qu’ils provoquent, ainsi qu’à la mise en œuvre de mesures de prévention, comme l’utilisation de gestes barrières lors des rapports, et la vaccination. Cependant, on observe une augmentation régulière d’incidence des cancers ORL dans les deux sexes. Pour les cancers de l’oropharynx, la fraction attribuable aux HPV est en voie de dépasser celle liée aux facteurs de risque reconnus que sont le tabagisme, la consommation de marijuana et celle élevée d’alcool. Les HPV sont également des facteurs de risque des cancers de la cavité buccale, mais dans ces localisations, l’alcool et le tabac restent les facteurs de risque prédominants. On estime actuellement que la persistance d’une infection orale, infraclinique, par HPV à haut risque, pendant une durée de 10 à 30 ans, est le précurseur obligatoire de la majorité des cancers oropharyngés. Le virus en cause est à 80 % l’HPV 16.   Virologie   Les caractéristiques de prévalence et de la rémanence des HPV diffèrent selon les sites infectés. Il faut néanmoins noter d’emblée que les données concernant ces deux points varient selon les études, en raison notamment d’importants biais méthodologiques, comme le mode de sélection des sujets testés et les techniques de prélèvement et de diagnostic biologique utilisées.   Sites anogénitaux • Chez femmes, la distribution est bimodale, avec une prévalence plus élevée chez femmes les plus jeunes et les plus âgées, et plus basse entre les deux. Une étude anglaise récente a rapporté les données d’un dépistage primaire de la présence au niveau cervical d’HPV à haut risque, réalisé chez 403 883 femmes non vaccinées. Le taux moyen de tests positifs est de 12,1 %. Dans le détail, la prévalence est de 27 % dans la tranche d’âge 24-29 ans. On observe ensuite une décroissance régulière (figure 3). Figure 3. Prévalence et rémanence des HPV à haut risque au niveau du site anogénital chez la femme [Rebolj]. • 1re ronde. Prévalence des HPV à haut risque au niveau du site anogénital chez la femme : résultat d’un dépistage primaire, réalisé en Angleterre chez 403 883 femmes non vaccinées. La prévalence (exprimée en pourcentage) est décrite en fonction de l’âge des sujets. • 2e ronde. Rémanence des HPV à haut risque au niveau du site anogénital chez la femme : les 32 211 femmes porteuses d’un HPV à haut risque lors de la 1re ronde et ne présentant pas d’anomalie cytologique bénéficient d’un 2e prélèvement au délai de 1 an. • 3e ronde. Mêmes modalités de prélèvement que précédemment pour les 11 664 femmes porteuses d’un HPV à haut risque lors de la 2e ronde.   La même étude a permis d’apprécier la dynamique de persistance des HPV au niveau cervical. Chez les femmes testées positives lors de la première ronde de dépistage mais ne présentant pas d’anomalie cytologique, un deuxième prélèvement est réalisé un an plus tard. Un peu plus de la moitié des femmes sont encore porteuses d’HPV à haut risque. Chez les femmes toujours porteuses d’HPV à risque lors de cette deuxième ronde et toujours sans lésion cytologique, une troisième ronde de prélèvement est réalisée un an plus tard. On observe chez plus de 60 % des femmes testées dans ces conditions la persistance d’HPV à haut risque (figure 3). Globalement, l’observation longitudinale montre un délai moyen de rémanence de 3 mois. Entre 90 et 95 % des HPV anogénitaux ont disparu dans les deux ans. • Chez les hommes, la prévalence des HPV anogénitaux est plus élevée que chez les femmes. Elle augmente avec l’âge. La clairance paraît semblable à celle observée chez la femme. La transmission dans le sens femme/homme est supérieure à la transmission dans le sens homme/femme.   Sites oropharyngés • Chez les femmes, la prévalence des HPV dans l’oropharynx est proche de 7 %, c’est-à-dire près de 7 fois plus basse que celle mesurée dans les sites anogénitaux. • Chez les hommes, elle est à ce niveau deux fois plus élevée que chez la femme. D’après une métaanalyse récente, la prévalence des HPV à haut risque dans l’oropharynx est évaluée aux alentours de 4 % chez les hommes et de 2,3 % chez les femmes. La prévalence plus importante chez les hommes reste inexpliquée. L’hypothèse d’un nombre plus important de partenaires sexuels oraux chez les hommes, souvent avancée, est cependant infirmée par plusieurs études. Des causes biologiques sont en conséquence évoquées, comme un taux de transmission de virus plus élevé à partir des sites féminins, constitués de muqueuses, en comparaison avec l’épithélium pénien, kératinisé. Le délai moyen de clairance des HPV oropharyngés est de 1,5 mois. Le taux de persistance à 2 ans est situé entre 10 % et 30 %.   Sociologie   L’infection oropharyngée par HPV est donc maintenant le premier facteur de risque de survenue des cancers ORL. Elle résulte presque toujours d’une transmission bidirectionnelle entre la bouche et la région anogénitale. Le nombre de partenaires sexuels engagés dans ces pratiques constitue un facteur de risque de cancers de l’oropharynx régulièrement identifié. La réalité d’un transport du virus entre différents sites chez un même individu par les mains ou des objets contaminés (auto-inoculation) est également possible, comme la transmission salivaire par des baisers profonds. On ne décrit généralement pas de transmission par les baisers sur le haut du corps, les joues ou les lèvres(1). Néanmoins, cette règle reçoit des exceptions. Une étude de suivi longitudinal familial a montré que le risque pour un enfant d’être porteur d’un HPV oral à haut risque avant l’âge de 2 ans est augmenté (d’un facteur 6) si la mère était ellemême porteuse chronique d’un HPV à haut risque. Dans cette étude, la transmission par des routes sexuelles est a priori écartée, au bénéfice des gestes quotidiens et des soins de puériculture (bains, changements de couches). L’existence de portage d’HPV chez des fillettes avant toute activité sexuelle est également attestée. Chez les accouchées porteuses d’HPV, on retrouve chez le nouveau-né des HPV de type concordant à celui de la mère dans environ un quart des cas. La naissance par césarienne diminue ce taux de moitié environ, sans l’annuler, ce qui plaide pour l’existence d’une transmission transplacentaire in utero(1).   Diagnostic précoce des tumeurs oropharyngées   Le diagnostic précoce des tumeurs oropharyngées se heurte à plusieurs obstacles. Les lésions précancéreuses, dysplasies de haut grade et cancers in situ ne sont pas spécifiques de l’infection par HPV ; le délai entre la survenue de celles-ci et l’apparition du cancer est long et variable. Enfin, ces cancers surviennent dans des zones qui ne sont pas aisément accessibles à l’examen clinique. La recherche d’ADN des HPV à haut risque dans la salive est possible. Mais découvrir un test positif ne permet pas une conduite clinique pertinente pour les raisons indiquées ci-dessus.   Prévention   Vaccination La vaccination prévient de manière très efficace la transmission orale de l’HPV. Son efficacité pour prévenir la survenue des cancers ORL n’a pas été démontrée directement, mais le fait que la vaccination prévienne le portage prolongé des HPV dans le site oral est considéré comme un marqueur intermédiaire robuste. La forte prépondérance de survenue des cancers ORL chez les hommes constitue une incitation supplémentaire, s’il en était besoin, à la vaccination des garçons.   Mesures barrières L’utilisation de condoms lors des rapports oraux est recommandée mais reste d’usage limité. C’est a fortiori le cas pour l’utilisation des digues buccales. Il s’agit de rectangles souples et minces de 15 x 25 cm environ, en latex ou polyuréthane, donc imperméables. Ils dérivent de ceux utilisés par les chirurgiens-dentistes lors des soins dentaires pour isoler les dents à soigner du reste de la bouche et de la salive. L’utilisation de films plastiques en polyéthylène à usage ménager est parfois proposée comme alternative aux digues buccales commercialisées. Ils sont plus fins, ménagent mieux le rendu tactile et visuel et sont moins onéreux. Enfin, la possibilité de découper des éléments de taille supérieure à celle des digues commercialisées pallie en partie les problèmes liés au déplacement lors du rapport. L’utilisation de préservatifs incisés dans le sens de la longueur après section de l’extrémité fermée est également possible.   Éthique   L’existence d’un lien entre survenue de cancers de l’oropharynx et infection par HPV confronte patients comme soignants à deux ordres de problèmes éthiques.   Lorsqu’un cancer de l’oropharynx a été diagnostiqué Les patients posent souvent les questions suivantes : est-ce qu’une infection à HPV est responsable de mon cancer ? Comment et quand aurais-je attrapé cette infection ? Comme on l’a vu, les données de la littérature ne permettent pas d’apporter de réponses claires à ces questions, notamment en raison du faible taux de cancers en regard de la fréquence des infections par HPV comme du long délai entre l’observation des infections et le diagnostic de cancer. La situation est d’autant plus difficile que les incertitudes scientifiques interagissent avec des éléments de l’histoire personnelle ou conjugale des sujets et de leur intimité sexuelle(1).   Comment doit se comporter une femme porteuse d’une infection persistante par HPV à haut risque ? Cette question fait l’objet de l’article d’Ermelina Monti et coll. Comme on l’a analysé plus haut, dans les deux sexes, le risque de développer un cancer oropharyngé existe, même s’il est faible, alors que la prévalence des HPV est élevée. Une femme se sachant porteuse d’un HPV à haut risque persistant doit-elle informer son partenaire ? La question ne se pose pas tant pour un partenaire actuel, chez lequel la transmission virale a vraisemblablement déjà eu lieu, mais vis-à-vis d’éventuels nouveaux partenaires. Dans la littérature, les avis sont partagés. La plupart des sociétés professionnelles estiment inutile d’informer les partenaires. Elles mettent en avant le faible risque relatif de transformation, le long délai entre contamination et survenue du cancer, la difficulté de diagnostic de lésions précancéreuses et l’impossibilité de dépister le portage oral d’HPV. Selon cette recommandation, informer aurait plus d’inconvénients que de bénéfices en termes de santé. Parmi les conséquences néfastes d’une telle information, les études citent l’inquiétude, la stigmatisation et l’embarras des partenaires, et la diminution du plaisir des rapports. D’autres avis sont plus radicaux. L’argument avancé est tout simplement le principe général du droit à l’information des sujets dont on doit respecter l’autonomie. Ne pas informer consisterait à revenir à l’attitude paternalisme ancienne, où c’est le soignant qui décide de ce qui doit être dit ou non(2). Un second argument, plus spéculatif, est également invoqué. Qu’en est-il si, dans l’avenir, le risque de développer un cancer oropharyngé s’avère actuellement sous-évalué et qu’une femme porteuse d’un HPV à haut risque persistant n’a pas informé son partenaire et a eu des rapports sans utiliser de barrière ni l’avertir ?

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