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Cas pratique

Publié le 30 mar 2022Lecture 9 min

Ablation d’une tumeur centrale du rein : comment je fais ?

Pierre-Alexis AUTRUSSEAU, Roberto Luigi CAZZATO, Emanuele BOATTA, Pierre DE MARINI, Afshin GANGI, Julien GARNON, service d’imagerie interventionnelle, Nouvel hôpital civil, Strasbourg

L’ablation percutanée guidée par l’image des tumeurs rénales primitives est désormais une indication reconnue de traitement, dont la littérature rapporte d’excellent résultats oncologiques pour les stades cT1a et cT1b (< 7 cm) avec une efficacité technique primaire s’étendant de 94 à 96 %(1). Cependant, cette efficacité décroît à mesure que les tumeurs deviennent centrales, avec un risque accru de complication(2). L’objectif de cet article est de rapporter les difficultés rencontrées lors d’une ablation d’une tumeur centrale du rein et les techniques pouvant être mises en place pour améliorer l’efficacité technique primaire et prévenir les complications.

Difficultés d’ablation d’une tumeur centrale du rein Définition Une tumeur centrale du rein est définie comme une tumeur ayant une procidence dans le hile rénale, la mettant en contact étroit avec le système collecteur, ainsi que les vaisseaux rénaux (veines et artères). Plusieurs scores permettent d’évaluer le risque de récidive et de complication en fonction de la centralité de la tumeur (RENAL score, C-index)(3) et peuvent être calculés avant décision pluridisciplinaire entre un traitement chirurgical ou par cryoablation percutanée. Pour les tumeurs les plus centrales, la cryoablation peut être une alternative séduisante à la néphrectomie radicale afin de préserver au maximum la fonction rénale. Mise en place des aiguilles Au contraire des tumeurs exophytiques, les tumeurs centrales du rein sont procidentes dans le hile rénal qui est une zone riche d’éléments anatomiques : avec les vaisseaux (artères et veines), les calices et la jonction pyélo-urétérale notamment. La mise en place des aiguilles d’ablation doit donc se faire en passant par du parenchyme rénal « sain », en s’imposant de ne pas traverser la graisse hilaire ou les calices afin d’éviter toute lésion anatomique et de prévenir tout risque de dissémination tumorale. « Sink effect » Le rein est un organe richement vascularisé, bénéficiant d’un important débit vasculaire (environ 5 L/min) en provenance du hile rénal. Cet important débit, pour les tumeurs centrales du rein, est responsable d’une dissipation de l’énergie thermique de la modalité d’ablation, risquant de réduire la zone d’ablation avec un risque important de résidu ou de récidive tumorale sur les berges de la tumeur traitée. Ce risque est d’autant plus important lorsqu’une artère vient au contact de la tumeur. Des embolisations tumorales préablation ont été décrites pour limiter cet effet, mais elles ne s’appliquent alors qu’à la tumeur et non à son environnement vasculaire. Une des possibilités est de réaliser une occlusion temporaire de l’artère rénale lors de l’ablation à l’aide d’un ballon dans l’artère rénale, avec un temps d’occlusion de moins de 30 minutes pour rester dans les guidelines chirurgicales de clampage d’artère rénale lors des néphrectomies partielles compliquées. Cavités excrétrices du rein Les cavités excrétrices du rein au contact de la tumeur seront impactées par l’ablation en raison de leur proximité. Les lésions causées selon la modalité d’ablation utilisée sont différentes. Lors d’une cryoablation, les calices sont peu à risque car le froid limite très fortement le risque de fistule urinaire (à la différence de la radiofréquence) et causera donc uniquement une hématurie rapidement résolutive dans la majorité des cas. Le risque principal est de léser la jonction pyélo-urétérale dont la vascularisation est terminale, pouvant entraîner des sténoses retardées avec obstruction d’amont difficiles à traiter. Des techniques préventives de thermo-protection peuvent être utilisées afin de prévenir ce risque de lésion de la jonction pyélo-urétérale, soit par hydrodissection, soit par pyélo-perfusion antérograde ou rétrograde. Matériel Technique d’ablation Les deux principales modalités d’ablation thermique décrites dans la littérature sont les ablations par radiofréquence ou cryoablation. Bien que la radiofréquence bénéficie d’un large recul dans différents organes, la cryoablation possède de nombreux avantages, notamment pour des tumeurs centrales du rein : – la possibilité d’utiliser plusieurs aiguilles afin de profiter d’un effet synergique et de conformer un glaçon à la forme de la tumeur avec des marges ; – la visualisation en imagerie du glaçon permettant de le monitorer et de connaître les limites de la zone d’ablation ; – une toxicité limitée sur les cavités excrétrices rénales (à l’exception de la jonction pyélo-urétérale) n’entraînant pas de fistule urinaire. Les principales limites de cette technique sont : – le coût du matériel (d’autant plus élevé que l’on multiplie le nombre de sondes de cryoablation) ; – la durée d’ablation (deux cycles de congélation et une décongélation passive puis active afin d’augmenter la létalité sur les marges de cryoablation) ; – et la diminution de la puissance de la cryoablation au contact du hile rénal en rapport avec le « cold sink effect ». Malgré cela, la cryoablation doit rester la modalité de choix lors du traitement d’une tumeur centrale du rein. Les limites de cette modalité peuvent être compensées par des techniques de thermo-protection de la jonction pyélo-urétérale ou d’occlusion temporaire de l’artère rénale pour outrepasser le « cold sink effect ». Quelques études rapportent l’utilisation de l’électroporation irréversible pour les tumeurs du rein, avec une efficacité rapportée très disparate n’apportant pas d’argument pour une utilisation à large échelle dans l’immédiat. Technique de guidage Les principales modalités de guidage utilisées aujourd’hui pour les cryoablations des tumeurs rénales sont la TDM ou l’IRM. L’échographie seule ne doit plus être utilisée, en raison d’une mise en place plus qu’aléatoire des aiguilles et surtout de l’absence de visualisation nette du glaçon en profondeur en raison du cône d’ombre qu’il entraîne. Dans les cadres des tumeurs centrales du rein, l’IRM qui bénéficie d’une nette supériorité à la TDM pour la vitesse de mise en place des aiguilles et le monitoring du glaçon, doit malgré tout être mise de côté car elle ne permet pas aisément la mise en place des mesures de thermo-protection et d’oblitération temporaire de l’artère rénale. L’idéal est l’utilisation d’une salle mixte, comprenant une TDM, ainsi qu’un capteur plan permettant la communication entre les deux modalités. En alternative, une TDM avec un arceau de scopie mobile peut également être utilisé. En pratique Les procédures sont réalisées sous anesthésie générale, le positionnement du patient (procubitus ou décubitus) dépendant de l’accès prévu pour les sondes de cryoablation. Mise en place des sondes de cryoablation Un scanner de repérage est d’abord réalisé sans ou après injection de produit de contraste iodé par voie veineuse (selon la visibilité de la tumeur) pour planifier le déploiement de sondes de cryoablation de 17 G ou 14 G (IceSphere®, IceRod®, Ice-Force® ; Boston Scientific, Royaume Uni) sous contrôle scanner intermittent. Les sondes de cryoablation sont mises en place au travers du parenchyme sain, en prenant soin de ne pas léser de structure urinaire ou vasculaire, avec au maximum 15 mm d’espace entre elles de manière à générer un glaçon qui couvrira la lésion avec 5 mm de marges autour. À noter que si une mise en place d’un ballon dans l’artère est envisagée (Cf. paragraphe ci-dessus), l’accès vasculaire peut être réalisé en première étape et un artérioscanner par le cathéter porteur à l’aide de produit de contraste iodé (7 à 3 mL/sec ; déclenchement d’un volume 4 sec après l’injection) permet la visualisation de la tumeur et de ses limites notamment dans le parenchyme pour envisager la planification des aiguilles de cryoablation (figure 1). Protection de la jonction pyélo-urétérale Dans le cas où le glaçon attendu viendrait en contact avec la jonction pyélo-urétérale, celle-ci doit être protégée (réchauffée ou mise à distance du glaçon) pour éviter toute sténose post-opératoire(4) (figure 2). • Hydrodissection Une possibilité est d’insérer une aiguille spinale 22G ou une aiguille à bout mousse 17G (Gangi Hydroguard® ; Aprio-Med, Allemagne) sous contrôle scanner intermittent entre la tumeur centrale et la jonction pyélo-urétérale, en maintenant le bout mousse lors de l’approche afin de ne pas léser l’uretère. L’injection de produit de contraste dilué à 5 % (Visipaque 270® ; General Electric, États-Unis) dans du sérum physiologique (ou du sérum glucosé à 5 % en cas de traitement par radiofréquence) à température ambiante permet de maintenir un flux de liquide limitant l’extension du glaçon vers la jonction. À noter qu’à cet endroit, le déplacement des cavités excrétrices est très incertain car la jonction est peu mobile dans la graisse et le passage en extra-rénal n’est pas toujours réalisable. • Pyéloperfusion antérograde Dans le cas où l’hydrodissection ne permettrait pas de sécuriser assez la jonction par rapport au glaçon, il est possible de réaliser une pyéloperfusion. La pyéloperfusion antérograde consiste en la réalisation d’une pyélostomie au travers d’un drain 5 French pour instiller du sérum physiologique à environ 38-40 °C. Une sonde urinaire doit également être posée afin d’évacuer le liquide injecté par la pyélostomie. Le débit d’injection au travers de la sonde de pyélostomie n’est pas clairement défini, mais une injection à environ 1-2 mL/sec semble appropriée. • Pyéloperfusion rétrograde L’alternative à la pyéloperfusion antérograde est la pyéloperfusion rétrograde. Elle consiste à la mise en place en préopératoire par les urologues d’un cathéter urétéral 6 French ouvert à l’extrémité dans le pelvis rénal, accessible à l’autre extrémité afin de pouvoir faire passer une poche de sérum physiologique(1 à 2 L) à 38-40°C à une pressionde 80 cm d’eau afin de réchauffer la jonction de manière continue. Une sonde urinaire est également posée afin d’évacuer le sérum physiologique injecté. La sonde urétérale peut être enlevée dès la fin de l’ablation, ou alors échangée pour une sonde double J à garder ensuite 6 à 9 semaines en cas de traitement à haut risque. La supériorité de l’une ou l’autre des techniques n’a pas été démontrée. Des études sont discordantes sur le potentiel effet néfaste sur l’efficacité technique primaire de ces techniques de protection. Accès vasculaire L’accès artériel dépend du positionnement du patient : en décubitus, l’accès fémoral est préféré car il est le plus direct. En procubitus, l’accès radial est préféré en raison du confort post-opératoire pour le patient, et un accès poplité peut être réalisé en cas d’échec de la voie radiale. Un introducteur 6 French est mis en place (Radi-focus Introducer® ; Terumo Medical, Japon), puis un cathéter porteur 6 French (REF) est mis en place dans l’artère rénale à occlure. Un microguide rigide 0.014 « (BMW® ; Abbott Medical, États-Unis) est avancé au sein de l’artère segmentaire à occlure sous contrôle scopique. La taille de l’artère à occlure est mesurée, puis un ballon d’angioplastie 0,018 » du même diamètre (Sterling Monorail® ; BostonScientific, Royaume-Uni) est avancé sur le microguide au sein de l’artère rénale principale. Le ballon est gonflé à l’aide de produit de contraste dilué et une opacification par le cathéter porteur permet de s’assurer de la bonne occlusion de l’artère (figure 3). Cryoablation Immédiatement après l’occlusion de l’artère, la cryoablation est débutée selon un protocole habituel (congélation de 10 minutes, décongélation passive de 9 minutes et active de 1 minute, congélation de 10 minutes). Le ballon est dégonflé lors de la décongélation. Une acquisition scanner volumique est réalisée toutes les 3 minutes afin de monitorer l’extension du glaçon. La jonction est réchauffée durant tout le temps d’ablation par la technique de protection mise en œuvre. À la fin du cycle d’ablation, un nouvel artérioscanner peut être réalisé selon les mêmes modalités qu’au début de la procédure afin de vérifier la dévascularisation de la tumeur et l’absence de saignement. Le matériel endovasculaire est retiré et un système de fermeture adapté est mis en place selon la voie d’abord utilisée (Angioseal® ; Terumo Medical, Japon pour un abord fémoral ou TR-Band® ; Terumo Medical, Japon pour un abord radial). Suivi Le suivi est le même que pour une cryoablation du rein plus classique. Une attention particulière doit être portée à l’évolution du débit de filtration glomérulaire, puisque l’utilisation du ballon a tendance à moins épargner le parenchyme sain en s’affranchissant du cold sink effect.

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