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Kezaco

Publié le 29 déc 2022Lecture 8 min

Cryoablation des tumeurs desmoïdes

Maxime BARAT*, Raphael DAUTRY*, Pascaline BOUDOU ROUQUETTE**, Alexandre LUCAS*, Antoine FEYDY*, Anthony DOHAN*, *Service de radiologie diagnostique et interventionnelle, **Service d’oncologie médicale, hôpital Cochin, AP-HP Centre, Université Paris Cité

Les tumeurs desmoïdes sont des tumeurs rares pouvant être localement agressives et pour lesquels la cryothérapie est devenue le traitement de référence chez les patients symptomatiques en cas d’échec du traitement systémique.

Contexte Les tumeurs desmoïdes sont des tumeurs rares dont l’incidence est estimée entre 5 et 6 cas par millions d’habitants et par an. Alors que les formes sporadiques sont les plus fréquentes (caractérisées par une mutation somatique de l’exon 3 de la bêta-caténine), 5 à 10 % des tumeurs desmoïdes sont associées à la polypose adénomateuse familiale (PAF). Elles se manifestent par des syndromes de masse qui peuvent survenir sur n’importe quelle partie du corps. Les localisations les plus fréquentes sont la paroi abdominale, les membres, les ceintures et le mésentère. Elles sont caractérisées par une prolifération monoclonale de cellules fibroblastiques développées au sein des tissus conjonctifs et concernent principalement les femmes entre 30 et 40 ans. Il s’agit de tumeurs bénignes sans potentiel métastatique mais localement agressives, parfois douloureuses, responsables d’impotence fonctionnelle, mal limitées et infiltrantes, dont l’évolution est difficilement prévisible. Certaines progressent, d’autres sont stables après une phase de poussée et certaines régressent spontanément (40-50 %). On distingue les formes abdominales et extra-abdominales. La cryoablation des tumeurs desmoïdes concerne presque exclusivement les localisations extra-abdominales. L’objectif des traitements est de contrôler l’envahissement local, d’améliorer la symptomatologie douloureuse, la qualité de vie ainsi qu’une éventuelle gêne esthétique. La cryothérapie des tumeurs desmoïdes a été rapportée pour la première fois en 2009. Elle fait partie des recommandations du Desmoid Tumor Working Group depuis 2020 en cas d’évolution défavorable après une période de surveillance et après échec des traitements médicaux. La prise en charge de ces tumeurs requiert une discussion multidisciplinaire. Ces dernières années, grâce aux données d’études rétrospectives internationales, à la réalisation d’essais randomisés et à la mise en place en France d’une base prospective clinicobiologique (ALTITUDE), des prises en charge de plus en plus personnalisées sont proposées prenant en compte notamment la localisation de la symptomatologie et de l’envahissement tumoral loco-régional(1).   Les différentes options thérapeutiques • L’abstention thérapeutique : une surveillance active « wait and see » est recommandée en première intention chez tous les patients. Elle est principalement adaptée en cas de tumeurs de petite taille, asymptomatiques situées dans une zone où la progression ne contre-indiquerait pas un traitement ultérieur : par exemple, les petites tumeurs desmoïdes de la paroi abdominale de découverte fortuite. • Les traitements systémiques : – les anti-inflammatoires non stéroïdiens ; – les hormothérapies, principalement le tamoxifène. Les données publiées concernant ces traitements sont difficilement interprétables compte tenu de l’absence de randomisation et de critères de progression dans les 6 derniers mois, à l’inclusion dans ces études. • Les chimiothérapies sont réservées aux formes les plus agressives et invasives. Il peut s’agir de différentes molécules utilisées seules ou en association. Les principales sont le méthotrexate, la vinblastine et la doxorubicine pégylée. • Les thérapies ciblées (depuis 4 ans) : il s’agit principalement des inhibiteurs des tyrosines kinases, dont deux ont montré leur efficacité dans un essai randomisé. Le sorafénib avec ses propriétés antiangiogéniques a montré son efficacité dans un essai de phase III versus placebo, le pazopanib validé par un essai de phase II comparatif versus chimiothérapie(2). Tout récemment un essai international de phase III a montré le bénéfice clinique d’un inhibiteur de gamma-sécrétase, ciblant la voie « Notch ». • La chirurgie : elle doit être complète du fait du risque important de récidive en cas de reliquat. Cependant, le caractère très infiltrant des tumeurs desmoïdes rend les chirurgies souvent mutilantes, la reléguant souvent au second plan face à des stratégies plus conservatrices(3). • La radiothérapie : c’est une option envisageable en cas de tumeur desmoïde progressant sous traitement médical et en cas de localisation rendant la cryoablation ou la chirurgie dangereuse, après discussion en réunion de concertation pluridisciplinaire. La littérature sur son efficacité consiste principalement en des études rétrospectives et hétérogènes. La dose à la tumeur de 56 Gy semble donner un taux de contrôle de la maladie de 71 % à 5 ans(4). Il n’existe dans la littérature qu’un seul essai prospectif de phase II, européen, chez des patients en progression. Cependant, les effets indésirables possibles à court et à long terme doivent peser dans la discussion de ce traitement. • L’ablation percutanée : l’intérêt de la cryothérapie dans la prise en charge des tumeurs desmoïdes extra-abdominales a été montré dans un essai de phase II publié en 2020 : Cryodesmo-01. Cinquante patients ont été inclus après échec de deux lignes de traitements systémiques. Le taux de contrôle tumoral était de 86 % à 1 an, avec une réduction significative des douleurs et une amélioration de la qualité de vie(5). L’essai Cryodesmo-02, débuté en 2021, a pour but de comparer la cryothérapie au traitement médical en première intention en cas de progression après surveillance. En dehors des essais cliniques, une revue systématique incluant 5 séries publiées incluant 146 patients traités par cryoablation pour tumeurs desmoïdes extra-abdominales, dont 27 en première ligne, retrouve des résultats similaires avec un taux de contrôle tumoral compris entre 81,5 et 85,8 % à 1 an et entre 77,3 et 82,9 % à 3 ans(6). Trois autres études rétrospectives publiées en 2022 confortent ces résultats avec un taux de contrôle tumoral similaire et orientent vers une efficacité comparable à celle de la chirurgie avec moins de complications retrouvées pour les patients traités par cryothérapie. La cryothérapie en pratique Avant le geste Les indications sont systématiquement discutées lors de réunions de concertation multidisciplinaires dédiées aux tumeurs mésenchymateuses (via le réseau de référence national NETSARC+). Pour limiter l’inconfort du patient lié au temps d’intervention et aux douleurs post-intervention, les interventions ont généralement lieu sous anesthésie loco-régionale ou générale lors d’hospitalisations courtes. Le guidage par scanner ou IRM sont à privilégier car le monitorage du glaçon n’est pas possible en profondeur sous échographie seule. Un double guidage pour les lésions superficielles est souvent utile, en particulier pour la mise en place des mesures de protection : repérage du nerf sciatique, des espaces sous-cutanés, de l’espace sous-aponévrotique de la paroi abdominale. Une planification précise de l’intervention doit avoir lieu avec une analyse morphologique de la lésion à traiter, de son volume et les rapports avec les organes ou structures à risque de lésion, principalement cutanées et nerveuses dans le cadre des tumeurs desmoïdes extra-abdominales. En fonction, seront décidés, l’installation du patients, la voie d’abord, le nombre et le type d’aiguilles. Concernant les mesures de protection et de monitorage, il peut s’agir de réchauffement cutané, d’hydro- ou de carbo-dissection pour écarter les structures à risque, du positionnement de thermocouples pour monitorer la température dans les zones à protéger et une éventuelle surveillance du fonctionnement des structures nerveuses soit par stimulation volontaire chez un patient sous sédation ou par neurostimulation chez un patient endormi. Pour les lésions les plus volumineuses, il est possible de programmer d’emblée plusieurs séances : il n’a pas été rapporté de progression tumorale entre les séances. Pendant la procédure Une fois le patient endormi, positionné et les aiguilles mises en place, un protocole de cryothérapie habituel de deux cycles de 10 minutes de congélation, séparés par 10 minutes de refroidissement passif et/ou actif, est généralement utilisé. La surveillance perprocédure à la fois clinique et radiologique concerne l’extension du glaçon et l’absence de lésion des structures à risque (figure 1). Il est plus facile de moduler la largeur du glaçon en fonction du débit d’argon que la longueur qui est fixée par les aiguilles choisies initialement et dont le repositionnement en cours d’intervention est rarement possible. Figure 1. Patient de 40 ans avec une tumeur desmoïde douloureuse de 7 x 5 x 4 cm de la région glutéale droite. IRM dans le plan axial et coronal en séquence T1FS après injection de produit de contraste gadoliné en coupe coronal montrant la tumeur fortement rehaussée par l’injection (flèche large), incluse au sein du muscle grand fessier droit (A) à proximité du nerf sciatique droit (tête de flèche blanche) (B).  C : cryoablation par mise en place de 3 aiguilles V-Probe® (Endocare, Varian, Californie) (têtes de flèches noires) permettant d’obtenir un glaçon de 8 x 4,5 x 5 cm (cercle), plan axial.  D, E et F : mesures de protection avec mise en place d’une sonde de neurostimulation (flèche en pointillé) au contact du nerf sciatique, plan axial (D) ; hydrodissection par du sérum glucosé et carbodissection avec du CO2 (étoile) de la gaine du nerf sciatique, plan axial (E) t hydrodissection sous-cutanée au sérum physiologique (tête de flèche grise), plan sagittal (F) . Après la procédure Immédiatement après le geste, la prise en charge de la douleur et la recherche de lésion cutanée et nerveuse sont la priorité. Après les premiers jours post-intervention, les complications sont rares. En cas de zone d’ablation importante, on peut proposer une corticothérapie courte à 1 mg/kg pendant 5 jours pour limiter les effets de l’œdème post-cryothérapie, en particulier pour une cryoablation au contact d’une zone nerveuse. En cas de lésion cutanée précoce ou retardée, les soins locaux sont à privilégier : application d’un corps gras telle une crème hydratante ou anti-brûlure afin de nourrir la peau et favoriser la cicatrisation. Surveillance La surveillance clinique est essentielle en cas de symptômes. Généralement, l’IRM est la modalité d’imagerie la plus performante pour la surveillance des tumeurs desmoïdes qui sont, en préthérapeutique, hypervasculaires avec un rehaussement intense et homogène en scanner et en IRM sur les séquences pondérées en T1 avec, dans 60 à 90 % des cas, des bandes linéaires non rehaussées qui serait pathognomoniques(7) (figure 2). Figure 2.  Patiente de 74 ans présentant une tumeur desmoïde de 2 cm du muscle oblique interne gauche prouvée histologiquement, découverte fortuitement sur une imagerie réalisée pour douleurs abdominales asymptomatiques. A et B : IRM en séquence T1 avec saturation de la graisse après injection de produit de contraste gadoliné dans le plan axial  (A) et coronal (B) montrant une tumeur de 2 cm du muscle oblique interne droit, rehaussée de façon intense et homogène (flèches). C : IRM en séquence T2 dans le plan axial retrouvant la lésion de 2 cm en discret hypersignal par rapport aux muscle sain (flèche). Le suivi à 2 ans de la lésion n’a pas montré d’évolutivité. Aucun traitement n’a été entrepris.   Un délai de 3 mois est généralement respecté avant le premier contrôle IRM pour attendre la résorption de l’œdème postopératoire. Habituellement, la cryothérapie ne provoque pas de diminution de volume spectaculaire lors des premiers contrôles, mais une dévascularisation complète et un arrêt de la prolifération et de l’évolutivité à long terme. La persistance de tissus rehaussés dans la zone traitée doit faire discuter un nouveau traitement. Enfin, d’un point de vue clinique, les lésions deviennent beaucoup plus souples et moins douloureuses. Les symptômes induits par compressions nerveuses à la périphérie de la tumeur sont généralement diminués, voire régressent totalement mais les nerfs pris dans la tumeur sont également détruits et ne récupèrent généralement pas leur fonction après traitement.

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