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Polémique

Publié le 29 déc 2022Lecture 7 min

Le radiologue interventionnel : technicien supérieur ou clinicien ?

Léo MIGNOT, CED UMR 5116, Université de Bordeaux

Développée depuis les années 1960, la radiologie interventionnelle rencontre encore aujourd’hui de larges difficultés de reconnaissance. Elle reste relativement méconnue des patients, inégalement répandue sur le territoire et son identification au sein des schémas de soin reste fragile. Un détour par les conditions de développement de la spécialité et la mise en lumière des reconfigurations à l’œuvre (tant au sein de la radiologie qu’avec d’autres professionnels) permettent de mieux comprendre les obstacles que rencontre la radiologie interventionnelle.

Transgression des frontières et redéfinition du métier Résultant de différentes lignes d’innovation, la radiologie interventionnelle est porteuse d’une transgression des frontières entre sphères diagnostique et thérapeutique. Elle a de fait entraîné une restructuration des espaces professionnels au sein des établissements de soin. Le champ de la radiologie a ainsi été étendu, le radiologue interventionnel devenant un soignant à part entière, sa relation au patient en étant transformée et renforcée. La technique Un élément majeur de la redéfinition du métier réside dans la montée en compétences sur les techniques opératoires, passant par la maîtrise de l’instrumentation et des normes propres à l’environnement du bloc interventionnel. Interrogés sur les raisons les ayant conduits à choisir cette spécialité, de nombreux radiologues interventionnels soulignent un attrait pour la technique et la dimension manuelle du métier. En effet, la manipulation des guides et cathéters ou encore des aiguilles de radiofréquence suppose l’acquisition de nouvelles aptitudes (habileté dans la manipulation des outils, connaissance du matériel, utilisation des logiciels de guidage, etc.) et les praticiens montrent un fort intérêt pour la réalisation et la maîtrise des gestes. Avec l’adoption de nouvelles conditions de travail et d’hygiène, ou encore l’acquisition de compétences nouvelles et le recours à des instruments différents, on a parfois assisté à un éloignement progressif du cœur de métier des activités de radiologie diagnostique et interventionnelle. Les pairs Un autre changement est celui du passage du diagnostic au registre thérapeutique. Il s’agit alors de devenir un véritable pourvoyeur de soin capable de traiter et soigner des malades. Cela suppose pour le radiologue interventionnel d’assumer un rôle plus proactif dans le parcours de soin, tant auprès des correspondants médicaux qu’auprès du patient. Si les échanges avec les pairs sont nécessaires quel que soit le secteur, ils sont rendus particulièrement visibles en oncologie par la tenue des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP). Espace de discussion des cas médicaux et de prise de décision, la RCP – obligatoire dans le cadre d’une prise en charge cancérologique – est un lieu de rencontre et, parfois, de confrontation. En effet, si l’intérêt du patient prévaut, la RCP est aussi le lieu d’expression des divergences d’opinion dans la prise en charge à suivre et cristallise de potentiels enjeux de recrutement de la patientèle. Le patient Enfin, l’investissement de la relation avec le patient constitue l’un des traits essentiels du métier. Pour les radiologues interventionnels, l’enjeu est d’être un véritable pourvoyeur de soins capable de traiter et soigner des malades, ce qui suppose pour le praticien de se positionner comme thérapeute. La dimension interventionnelle est à ce titre vécue comme un élément permettant d’introduire davantage de clinique que ce que ne permet la seule activité diagnostique, et donc de renforcer la prise en charge du patient. Cette dernière y est en effet plus marquée et se doit d’être assurée avant, pendant et après l’opération. Si le contact et la relation avec le patient sont importants lors de l’intervention, la prise en charge en amont avec la mise en place de consultations préopératoires et la réalisation du suivi postopératoire sont tout aussi nécessaires. Cette transformation ne s’est toutefois pas toujours faite sans difficultés. À l’échelle individuelle, se positionner comme thérapeute a conduit les praticiens à l’obligation de se confronter à leurs échecs, à la souffrance des patients et à leur accompagnement. Ces enjeux sont particulièrement saillants dans les secteurs contribuant à la prise en charge de maladies chroniques engageant le pronostic vital des patients, tels que l’oncologie. À l’échelle collective, ces transformations ont posé des difficultés organisationnelles liées aux conditions historiques d’organisation de la spécialité. Les consultations ont mis du temps à se développer car, d’une part, elles ne faisaient pas partie de la culture radiologique et que, d’autre part, les praticiens ne disposaient que rarement des conditions structurelles permettant de les organiser. À l’origine, il n’existait pas de plages horaires ou de lieux spécifiques prévus pour les consultations, celles-ci se faisant alors – et parfois encore aujourd’hui – « au fil de l’eau » et/ou entre deux interventions. De même, les radiologues interventionnels disposent encore rarement de lits d’hospitalisation dans leurs propres services et doivent négocier l’accueil de leurs patients auprès d’autres composantes. En 2007, il était estimé que seulement 17 % des services de radiologie interventionnelle européens disposaient de lits d’hospitalisation dédiés(1).   Luttes de territoire L’accueil des patients en consultation, leur prise en charge au cours des opérations ou encore la participation à la discussion des cas lors de réunions de pairs ont à n’en pas douter contribué à l’émergence d’un nouveau rôle pour le radiologue interventionnel. Néanmoins, cette transformation ne s’est pas faite sans encombre, suscitant des tensions tant avec d’autres spécialités qu’au sein de la radiologie. Ces frictions s’expliquent par l’existence de résistances au processus de redéfinition des expertises liées à l’introduction de la technique. Ainsi, de nombreux praticiens soulignent l’existence de « guerres » de territoire entre spécialités, notamment avec la chirurgie(2). En effet, certains ont vu l’émergence des thérapies guidées par imagerie comme une potentielle menace et ont accusé les radiologues de s’attaquer à leur domaine de compétences et d’envahir leur terrain de jeu. Aux États-Unis, les tentatives de Dotter se sont ainsi confrontées à une levée de boucliers – dont le fameux « visualize but do not try to fix »(3). En France, plusieurs des pères fondateurs de la spécialité témoignent de tensions similaires et se sont vus accusés de faire « un travail de cowboy » ou d’être des « fous dangereux »(4). Ces conflits sont donc en partie liés à la concurrence entre des actes de radiologie interventionnelle et de chirurgie visant au traitement d’une même affection et pouvant se traduire par une « lutte » pour le choix du geste à réaliser. Mais ils sont également liés à l’enjeu même de la maîtrise des thérapies guidées par imagerie. En effet, suite à l’amélioration des techniques grâce aux progrès instrumentaux et au développement du matériel, celles-ci ont gagné en légitimité et ont été mieux acceptées. Et, alors qu’ils les avaient initialement rejetées, les chirurgiens et d’autres spécialistes d’organes ont montré un intérêt croissant pour ces procédures et s’y sont progressivement formés. Les radiologues interventionnels ont donc été confrontés au risque de perdre la main sur une partie de leur activité au profit de professionnels extérieurs à la discipline. On estime ainsi que, dès 1989, aux États-Unis, environ la moitié des procédures interventionnelles et d’angiographie étaient réalisées par des non-radiologues, notamment des cardiologues(5).   Tensions internes Mais le développement de la radiologie interventionnelle a aussi pu conduire à des tensions au sein même de la radiologie et à des luttes de pouvoir internes. En effet, aux premières heures de la spécialité, les radiologues souhaitant développer l’activité interventionnelle ont pu souffrir d’un manque de soutien au sein même des rangs de la radiologie. Intervenir sur le corps ne faisait pas partie de la culture professionnelle, et ces premiers praticiens ont souffert d’un problème d’image, étant souvent perçus comme des « bricoleurs ». Peu nombreux, ils ont pu se sentir isolés et avoir du mal à peser sur les décisions et l’orientation du groupe professionnel. Plusieurs considèrent ainsi que les instances représentatives (sociétés savantes et syndicats) n’ont pas suffisamment soutenu l’activité interventionnelle lors des arbitrages concernant la valorisation financière des actes. Certains radiologues « conventionnels » percevaient de plus l’apparition de l’interventionnel comme un risque d’éclatement de la discipline. Mais, en France, les représentants ont oeuvré pour que la radiologie « marche sur ses deux jambes »(6) – diagnostique et interventionnelle – et maintienne son unité. Cette solution présentait en effet l’avantage d’éviter la fragmentation et permettait aux radiologues interventionnels d’appartenir aux rangs d’une entité puissante. Considérant qu’ils seraient plus fort ensemble que dispersés, ceux-ci ont préféré œuvrer pour une meilleure prise en compte de leurs désirs au sein de la discipline plutôt que d’en sortir. Si les tensions se sont apaisées (l’ajout du terme « interventionnel » dans l’intitulé des JFR en atteste), cette frilosité initiale a pu être préjudiciable à la reconnaissance du radiologue interventionnel comme un spécialiste à part entière. Dans d’autres pays, notamment anglo-saxons, la situation a conduit à des velléités d’indépendance. Ce souhait d’une plus forte autonomie a alors pu aboutir à la constitution d’une spécialité distincte ou d’une surspécialité disposant d’instances de représentation autonomes – comme au Canada.   Devenir soignant, devenir clinicien ? L’émergence de la radiologie interventionnelle et les jeux de pouvoir en découlant posent donc la question de la définition des espaces et champs de compétences professionnels, mais aussi celle du travail et de la construction des frontières entre spécialités médicales. En quittant la sphère diagnostique pour développer une nouvelle offre de soins, les radiologues interventionnels ont induit une reconfiguration des rapports avec d’autres disciplines (chirurgie, spécialistes d’organes, etc.), mais aussi au sein même de la radiologie. La quête de légitimité professionnelle de ces praticiens passe actuellement par la défense de leur place au sein du parcours de soin et dans la relation aux patients. L’enjeu est donc celui du développement de la radiologie interventionnelle comme activité clinique(7). Les propos tenus en 1980 par Dotter concernant l’émergence d’un rôle de véritable clinicien gardent donc toute leur actualité : « The angiographer who enters into the treatment of arterial obstructive disease can now play a key role, if he is prepared and willing to serve as a true clinician, not just as a skilled catheter mechanic. He must accept the responsibility for the direct care of patients before and after the procedure; now see them as patients, not just as blocked arteries. »(8).

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