Protocole
Publié le 19 mai 2025Lecture 10 min
Stenting de sténoses portales tumorales malignes préocclusives ou occlusives : quels patients, quelle technique, pour quels résultats ?multidisciplinarité
Patrick CHEVALLIER, Manuel GARGIULO, Maxime EPERIER, Cristina DE FINO, Jean-Baptiste QUILICHINI, Nizar KAMOUN, Mohammad SHAFAYE, Mohamed EL ZIBAWI, service d’imagerie interventionnelle viscérale et oncologique, hôpital Archet, CHU de Nice

L’hypertension veineuse portale (HTP) préhépatique peut être observée dans diverses affections, bénignes et malignes. Elle représente 5 à 10 % de tous les cas d’HTP(1). Elle est plus fréquente après une transplantation hépatique(2). D’autres causes bénignes incluent les maladies inflammatoires, telles que la pancréatite, les conditions thrombotiques, la sténose ou l’occlusion postchirurgicale et la radiothérapie. Elle est causée dans 15 à 24 % des cas par une tumeur maligne(1,2), qui est principalement une tumeur hépatobiliaire ou pancréatique et, dans certains cas, elle peut être le résultat d’une compression par des métastases ganglionnaires, en particulier de carcinomes gastrique ou mammaire(3).
L'HTP peut se manifester par un ou plusieurs des symptômes suivants : douleurs abdominales, ascite, thrombocytopénie associée à une splénomégalie, dysfonctionnement hépatique ou développement de varices péridigestives pouvant être hémorragiques(4). L’hypoperfusion portale intrahépatique peut également entraîner une atrophie du foie, une hypoalbuminémie et une malnutrition. En outre, l’HTP affecte les stratégies thérapeutiques, car elle peut limiter les indications chirurgicales, les traitements endovasculaires et les choix de médicaments anticancéreux. Il est donc évident que l’HTP peut affecter significativement le pronostic et la qualité de vie des patients(5).
Des traitements non chirurgicaux des symptômes de l’HTP ont été proposés, essentiellement endoscopiques pour le contrôle des varices ou par paracentèses itératives pour l’ascite réfractaire.
La pose d’un stent métallique, auto-expansible dans la veine porte peut être considérée comme une alternative, en une seule séance et pour des cas sélectionnés(6-10). Cet article traite de ce sujet.
Quels patients ?
On peut envisager la pose d’un stent portal pour les patients ayant une sténose ou une occlusion focale récente de la veine porte et/ou de la confluence veineuse splénomésaraïque à risque de développer ou ayant déjà des symptômes d’HTP (encadré 1).
La sténose ou l’occlusion portale préhépatique focale est le plus souvent tumorale et maligne par envahissement tumoral du pédicule hépatique ou par une récidive tumorale locale après chirurgie hépatique ou pancréatique par duodénopancréatectomie céphalique dans un contexte de cholangiocarcinome hilaire ou de la voie biliaire principale, ou encore d’adénocarcinome pancréatique. Dans ces situations cliniques, le patient peut devenir symptomatique si le processus occlusif portal ne peut être compensé par le développement d’un cavernome portal du fait de l’occlusion par le syndrome de masse tumoral ou la résection chirurgicale des principales veines, épi- et péricholédociennes, qui constituent de tels cavernomes. L’antécédent de radiothérapie peut aussi favoriser un faible développement de collatérales en cas d’occlusion portale.
Ces sténoses veineuses portales occlusives ou préocclusives malignes sont diagnostiquées soit lors des suivis systématiques de patients oncologiques, soit lors d’un examen d’imagerie réalisé dans le cadre de la survenue de signes cliniques d’HTP. À ce titre, les radiologues diagnostiques effectuant des suivis oncologiques en imagerie en coupes doivent signaler dans leurs compte rendus ces anomalies portales mêmes pour des patients pour lesquels l’évaluation du contrôle de la pathologie tumorale reste au premier plan. Pour poser l’indication de pose de prothèse métallique auto-expansive portale, il faut s’assurer du caractère symptomatique de la sténose préocclusive ou occlusive. Il faut ainsi prévoir la réalisation d’une exploration endoscopique œso-gastro-duodénale. En cas d’ascite sans signe macroscopique de carcinose péritonéale, il faut la ponctionner pour doser dans le liquide de ponction le taux de protides et rechercher des cellules tumorales pour différencier une ascite d’hypertension portale qui est un transsudat sans cellules tumorales à l’examen cytologique, d’une ascite d’origine tumorale qui est un exsudat avec des cellules tumorales et pour laquelle le stenting portal n’aurait aucun effet.
En cas d’absence de traitement local de la sténose ou d’occlusion focale portale pour ces patients ne pouvant pas développer de collatéralités veineuses efficaces, il n’est pas rare que leur survie soit écourtée et/ou que leur qualité de survie soit significativement dégradée du fait d’épisodes hémorragiques digestifs ou d’une ascite réfractaire qui peut être à tort attribuée à une carcinose péritonéale. Le stenting simple portal ne peut s’envisager que si l’analyse de l’imagerie en coupes montre qu’il existerait un flux entrant et un flux sortant du stent « suffisants » pour ne pas risquer d’avoir une occlusion immédiate ou rapide du stent. Si cette notion est subjective, établie sur le calibre des veines en amont et en aval du segment veineux pathologique, elle permet néanmoins de contre-indiquer les patients ayant une atteinte veineuse portale étendue exigeant un stenting de veines de faible calibre, en amont de la confluence splénomésaraique, avec un faible flux prévisible entrant dans le stent. Elle permet également de contre-indiquer les patients avec une cirrhose évoluée ou une thrombose portale intrahépatique associée, le flux prévisible à la sortie du stent étant également potentiellement trop faible. Dans ce dernier cas, on peut associer au stenting portal, la réalisation d’un TIPS qui va engendrer un flux d’aval post-stent suffisant, mais cette procédure plus complexe sort du scope de cet article. Une fois l’analyse préliminaire de sélection du patient réalisée, l’indication de stenting portal doit être discutée en réunion de concertation disciplinaire en oncologie, comme tout soin apporté au patient cancé- reux tout au long de sa prise en charge.
Quelle technique ?
La pose d’une endoprothèse de la veine porte est le plus souvent pratiquée par voie transhépatique même si elle a été décrite par voie trans-splénique, par voie chirurgicale via une veine iléale, iléocolique ou jéjunale ou par voie transjugulaire en confectionnant un TIPS(11,12) (figures 2 à 3 et encadré 2).
Figure 2. Homme de 72 ans, porteur d’un adénocarcinome pancréatique non opéré en deuxième ligne thérapeutique, avec extension tumorale massive dans le pédicule hépatique, responsable d’une sténose de la voie biliaire principale avec ictère, et de la veine porte avec ascite réfractaire liée à l’hypertension portale. Drainage biliaire premier par voie transhépatique avec cholangiographie (A) montrant une dilatation des voies biliaires en amont d’une sténose occlusive de la voie biliaire principale traitée par mise en place d’une prothèse métallique de 80 mm de longueur et 10 mm de diamètre (B). Portographie par voie transhépatique 5 jours plus tard (C) montrant une sténose portale depuis la confluence splénomésaraïque jusqu’à la portion distale du tronc porte responsable d’un gradient de pression égal à 6 mmHg et sans dilatation possible de collatérales veineuses dans le pédicule hépatique du fait de la masse tumorale. Nouvelle portographie après mise en place d’une prothèse métallique auto-expansible de 80 mm de longueur et 10 mm de diamètre (D), restaurant un flux portal normal. Survie de quelques mois sans ictère ni ascite.
Figure 3. Homme de 64 ans porteur d’un adénocarcinome gastrique avec métastases ganglionnaires dans le petit épiploon, responsable d’une occlusion portale avec ascite réfractaire liée à l’hypertension portale préhépatique. Portographie par voie transhépatique (A) montrant une occlusion portale depuis la veine splénique jusqu’au tronc porte avec une faible collatéralité veineuse liée à l’importance de la masse tumorale. Portographie de contrôle après mise en place d’une prothèse métallique auto-expansible de 10 mm de diamètre (B) restaurant un flux portal vers le foie et permettant le tarissement de l’ascite.
Les caractéristiques techniques de la voie transhépatique sont les suivantes :
– anesthésie générale ;
– pas d’antibioprophylaxie ;
– arrêt du traitement anticoagulant si débuté avant la procédure ;
– ponction première d’une branche portale intrahépatique droite ou gauche, sous contrôle mixte échographique et fluoroscopique, avec ponction la plus périphérique possible pour diminuer l’incidence des complications ;
– mise en place d’un introducteur 6-7F capable de recevoir un porteur de prothèse auto-expansible de 10 mm de diamètre ;
– cathétérisme de la sténose/occlusion portale avec un cathéter avec faible angulation distale et utilisation de guides hydrophiles 0.032 à 0.035 stiff ;
– portographie en incidence antéropostérieure avec 20-30 ml de produit de contraste iodé injecté au débit de 3-5 ml/seconde ;
– la réalisation d’un cone beam CT n’apporte pas en règle d’information à la portographie et à l’imagerie en coupes préopératoires qui suffisent pour déterminer la position et la longueur du stenting portal ;
– mesures de pressions portales non systématiques mais pouvant être utiles pour des situations limites en cas de sténose non totalement occlusive, avec souvent un gradient de pression supérieur à 5 mmHg en cas de sténose symptomatique ;
– pas de prédilatation pneumatique de la sténose portale de manière à limiter les traumas pariétaux veineux et la migration du stent lors de son largage ;
– mise en place d’un stent auto-expansible de 10 mm de diamètre non couvert avec une marge de sécurité d’au moins 10 mm de part et d’autre de l’occlusion ;
– la portion proximale du stent peut se situer, selon la topographie lésionnelle portale et selon les débits des veines d’amont, dans la veine mésentérique supérieure, la veine splénique ou le tronc porte ;
– portographie de contrôle ;
– éventuelle plastie pneumatique de la prothèse en cas d’expansion incomplète ;
– pas d’héparinothérapie pendant la procédure ;
– embolisation recommandée du trajet de ponction au retrait du matériel avec coïls, acrylates ou emboles résorbables ;
– pas d’anticoagulation ou d’antiagrégation post-thérapeutique.
Cas particulier des patients ayant également un obstacle biliaire non traité
En cas d’étiologie tumorale maligne, une sténose biliaire synchrone à l’atteinte veineuse portale avec dilatation de voies biliaires intrahépatiques peut s’observer (encadré 2). Dans ce cas de figure et en cas de voie d’abord transhépatique, il est recommandé de drainer les voies biliaires intrahépatiques au préalable de la procédure ou lors de la procédure, afin de minimiser le risque de complication infectieuse ou à type d’hémobilie. En cas de drainage biliaire associé au stenting portal, une antibio- prophylaxie pour quelques jours peut se discuter.
Quels résultats ?
On trouve dans la littérature quelques articles rapportant les résultats du stenting portal de sténoses ou d'occlusions portales malignes avec HTP symptomatique(6-10).
Le succès technique varie de 93 à 100 %. En règle générale, le cathétérisme de ces sténoses ou occlusions portales courtes est techniquement assez facile et rapide. Le succès clinique, correspondant à la diminution ou l’arrêt des symptômes liés à l’hypertension portale, varie de 65 à 92 %. Le suivi évolutif moyen est de quelques mois, correspondant à la survie globale en règle courte pour ces patients ayant une pathologie tumorale évoluée après plusieurs lignes thérapeutiques.
Les stents peuvent s’occlure lors du suivi évolutif jusque dans près de 40 % des cas(9) et les facteurs d’occlusion sont liés essentiellement au flux intrastent et à la progression tumorale. Ainsi, un bas flux dans le stent, à risque élevé de thrombose du stent, peut être observé pour des patients ayant une cirrhose évoluée ou une atteinte étendue du système portal avec un stenting long et branché sur des veines splanchniques de faible débit(9,10).
Les complications mineures sont diversement appréciées dans la littérature mais en l’absence de complication majeure, ce type de procédure est en règle très bien toléré.
Les complications majeures sont rares, observées dans moins de 10 % des cas, correspondant essentiellement à des complications hémorragiques sur le trajet de ponction transhépatique, d’origine veineuse ou artérielle, à types d’hémobilie, d’hématome intrahépatique et/ou d’hémopéritoine. Des abcès ont été également décrits. L’incidence de ces complications majeures peut être contrôlée ou diminuée par l’embolisation systématique du trajet de ponction transhépatique en fin de procédure et par le drainage systématique des voies biliaires intrahépatiques en cas de dilatation de ces dernières.
Nous avons déjà rapporté notre expérience initiale(6) puis notre expérience jusqu’en 2022(10) de stenting de sténoses ou occlusions portales malignes symptomatiques. Nous avons pris en charge 54 patients consécutifs(10) porteurs d’une sténose (n = 44) ou d’une occlusion (n = 10) portale maligne dans un contexte d’adénocarcinome pancréatique (n = 31), de cholangiocarcinome (n = 15), de métastases ganglionnaires de cancers gastro-intestinaux (n = 7) ou de carcinome hépatocellulaire (n = 1). Tous les patients avaient une HTP préhépatique symptomatique.
Un succès technique était observé dans tous les cas, à l’exception d’un échec de cathétérisme d’une occlusion qui était ancienne et longue.
Parmi les patients ayant pu être suivis (n = 36), 63,9 % avaient un stent perméable jusqu’à un dernier suivi médian de 116 jours et 36,1 % avaient une thrombose du stent intervenue avec un délai médian de 70 jours.
Les signes cliniques d’HTP étaient améliorés pour 85 % des patients ayant un stent perméable, incluant une résolution de l’ascite dans 82,6 % des cas, pour lesquels elle était présente avant le stenting portal.
Quatre complications majeures ont été observées, incluant deux complications infectieuses à type d’abcès hépatiques traités médicalement et par drainage transhépatique, et deux hémorragies traitées par embolisation artérielle hépatique ou thermoablation percutanée du trajet de ponction du fait d’un saignement veineux, aboutissant au décès pour un patient en dépit d’une hémostase effective.
CONCLUSION
La mise en place d’une ou plusieurs prothèses auto-expansibles pour traiter des sténoses ou occlusions portales malignes est réservée au traitement palliatif de patients ayant une hypertension portale symptomatique, en excluant ainsi ceux n’ayant pas de symptômes et ceux ayant une ascite d’origine tumorale.
La procédure est effective dans pratiquement tous les cas, avec une bonne tolérance, peu de complications graves et une diminution ou disparition des signes cliniques d’HTP jusqu’au décès de la vaste majorité des patients ayant un stenting perméable. Elle peut ainsi améliorer de manière significative leur confort de survie en évitant des hospita- lisations répétées, des endoscopies itératives ou de multiples ponctions d’ascite. Dans les situations pour lesquelles on évalue un flux vasculaire potentiellement faible dans le futur stent du fait d’une atteinte portale longue et/ou une cirrhose évoluée associée, le stenting portal est associé à un risque de thrombose intrastent élevé et peut être de ce fait non indiqué ou nécessiter la confection concomitante d’un TIPS.
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