Publié le 29 juin 2024Lecture 9 min
Faut-il protéger le diaphragme lors d’une thermoablation percutanée de tumeur hépatique paradiaphragmatique ?
Manuel GARGIULO, Mohamed EL ZIBAWI, Mohammad SHAFAYE, Nizar KAMOUN, Nasser AL SAYEGH, Olivier LOPEZ, Patrick CHEVALLIER, service d’imagerie interventionnelle oncologique et viscérale, Hôpital Archet II, Nice
La thermoablation percutanée est devenue le premier traitement curatif des carcinomes hépatocellulaires, représentant 64 % des traitements curatifs en 2019, après avoir plus que doublé en 10 ans. Le niveau de preuve scientifique est suffisant pour pouvoir la proposer en première intention pour les carcinomes hépatocellulaires ou les métastases hépatiques de cancers colorectaux de moins de 3 cm.
La thermoablation percutanée hépatique à proximité du diaphragme
Les complications des traitements thermiques sont rares, mais potentiellement graves dans le cas où l’hyperthermie locale diffuse accidentellement dans des structures adjacentes à la zone de thermoablation comme l’arbre biliaire central, le système digestif périhépatique, le diaphragme, et parfois même les organes intrathoraciques. Les traitements thermiques sont considérés à haut risque iatrogène lorsque la zone de thermoablation prédéfinie se situe à moins de 10 mm d’une structure anatomique à risque de plaie thermique.
Les tumeurs proches du diaphragme sont celles se situant dans le dôme hépatique, mais également à la partie postérieure du foie, dont le rapport étroit au diaphragme peut être parfois négligé. Au total, cela concerne près d’un tiers du parenchyme hépatique. Elles présentent un défi particulier en raison de complications qui leur sont propres, mais également du fait d’un accès parfois difficile avec des balistiques ascendantes, et d’une fenêtre échographique restreinte, voire inexistante, pouvant rendre impératif le repérage scanographique.
Ces localisations sont donc à priori moins favorables que d’autres, avec un risque iatrogène de plaie diaphragmatique, source d’appréhension lors du traitement, parfois cause de traitement insuffisant, voire de contre-indication au traitement. L’objectif de cet article est de proposer une conduite à tenir sur la protection diaphragmatique à proposer lors d’une thermoablation percutanée d’une tumeur hépatique paradiaphragmatique. Diaphragme et moyens de fixité du foie Les moyens de fixité du foie, notamment les zones d’insertions ligamentaires, coronaire et falciforme, correspondent à des zones d’épaississement du diaphragme.
Le ligament coronaire est constitué de trois expansions qui lient le foie à la partie verticale du diaphragme : les ligaments triangulaires droits et gauches, latéraux, et le ligament hépatoveineux inférieur. Une quatrième expansion, le feuillet supérieur, se réfléchit sur le diaphragme le long du bord supérieur de la face postérieure du foie. Le ligament coronaire est renforcé par le ligament hépatophrénique, derrière le lobe droit et, dans son sillon, par l’insertion cave inférieure.
La zone dénudée du foie, ou zone non péritonisée ou « bare aera », à la face postéro-supérieure hépatique, correspond à la surface se situant entre les ligaments triangulaires.
Le ligament falciforme, quant à lui, est constitué de deux feuillets de replis péritonéaux minces qui naissent de la paroi épigastrique et du diaphragme pour aller vers le foie. Il est composé d’une partie antérieure correspondant à son bord libre inférieur, au sein duquel chemine le ligament rond, cordon fibreux reliquat de la veine ombilicale, qui le relie à la paroi abdominale antérieure jusqu’à l’ombilic. Sa seconde partie, postérieure, fixe la face supérieure du foie au diaphragme. Ces zones d’insertions ligamentaires couvrent largement le dôme hépatique et s’amincissent progressivement à la partie postéro-inférieure du foie.
Quelles complications spécifiques suivant une thermoablation percutanée d’une tumeur juxta-diaphragmatique ?
L’irritation phrénique est la complication la plus fréquente, provoquant des douleurs parfois intenses, scapulaires droites et/ou de l’hypochondre droit, se confondant aux douleurs induites par l’ablation thermique de capsule hépatique adjacente(1). Elles sont rapidement résolutives et traitées en règle par antalgie simple. La plaie diaphragmatique est probablement non rare comme l’indique des études animales mais est rarement symptomatique. La manifestation clinique principale de ce type de plaie diaphragmatique iatrogène est le développement d’un hydrothorax droit, en cas de développement d’ascite du fait de l’évolution d’une hépatopathie et/ou du processus tumoral, avec migration massive de l’ascite dans l’espace pleural du fait des différences de pressions, et ceci même en cas de plaie diaphragmatique peu volumineuse et/ou ancienne. L’ascite démasque ainsi une brèche diaphragmatique, et l’hydrothorax est en règle volumineux, symptomatique et se reconstituant après ponction simple tant que l’ascite perdure. Il peut nécessiter un talcage pleural qui est le plus souvent efficace et qui doit être proposé rapidement dans ce cas de figure. Cette complication est certainement minorée dans la littérature car elle intervient à distance de l’ablation thermique, et parce qu’un hydrothorax droit peut survenir en cas d’ascite en l’absence de plaie diaphragmatique iatrogène, via une solution de continuité congénitale.
La plaie diaphragmatique peut également être la source d’une hernie diaphragmatique, de survenue retardée et exceptionnelle(2).
Les parésies ou paralysies phréniques, liées à une plaie thermique de rameaux nerveux phréniques, sont quant à elles exceptionnellement symptomatiques, et probablement là encore sous-estimées. Elles peuvent être redoutables chez des patients ayant une insuffisance respiratoire sévère au préalable de la thermo-ablation hépatique, avec pour ces patients une possibilité de décompensation respiratoire potentiellement létale.
Les autres complications spécifiques à cette localisation décrites, bien que rares voire exceptionnelles, sont des fistules faisant communiquer le plus souvent le réseau biliaire, dont le contenu est très érosif, avec des structures thoraciques. On relève ainsi dans la littérature des cas de pleurésies biliaires, de fistules bronchobiliaires ou encore de fistules hépatopéricardiques(3). Le mode de survenue exact de ces fistules est peu connu mais à l’analyse des cas publiés et de notre expérience, il semble qu’une thermoablation seule ne suffise pas à induire ce type de complication qui pourrait nécessiter des facteurs favorisants antérieurs associés, fragilisant l’arbre biliaire comme les cholangites et en particulier celles induites par des traitements artériels hépatiques. Ces complications sont difficiles à traiter requérant des traitements longs pouvant faire appel à un drainage biliaire et/ou un drainage pleural et/ou une embolisation du trajet fistuleux, et/ou une réparation chirurgicale.
Quelles méthodes de protection thermique ?
L’utilisation de liquides induisant une hydrodissection ou ascite artificielle est de loin la technique la plus étudiée. Les solutions de glucose à 5 % (G5 %) sont préférées aux sérums salés, car elles semblent apporter une meilleure isolation électrique, en s’affranchissant également de phénomènes osmotiques du fait de leur iso-osmolarité(4,5).
Il a été décrit plus rarement l’utilisation de ballons d’interposition chez l’animal(6) ou la création d’un pneumopéritoine artificiel par dioxyde de carbone(7). Les méthodes de tractions d’aiguille semblent insuffisantes à elle seules, mais intéressantes en association. Les techniques de pneumothorax artificiels ou thoracoscopiques ont également été décrites pour un abord transdiaphragmatique(7), beaucoup moins utilisées car ajoutant potentiellement une morbidité thoracique à la procédure.
Une efficacité encore à démontrer ?
De nombreux auteurs s’interrogent sur l’utilité de ces protections thermiques dans cette localisation. En effet, il est rapporté une nette baisse de complications depuis l’utilisation d’aiguilles droites. Si certains affirment que la localisation juxtadiaphragmatique n’importe pas, d’autres préconisent un ajustement des protocoles thermiques en fonction de la localisation.
En ce qui concerne l’ascite artificielle, des auteurs suggèrent que les bénéfices d’isolation thermique retrouvés dans certaines publications avec la radiofréquence ne sont pas transposables aux micro-ondes, n’utilisant pas la propagation d’un courant électrique dans les tissus(8). D’autres suggèrent même une conductivité thermique des liquides ne permettant pas une isolation suffisante.
Une étude randomisée comparant les procédures avec et sans méthode de protection par ascite artificielle montre une différence significative uniquement sur l’épaississement diaphragmatique et les douleurs dues à l’irritation diaphragmatique. Elle ne rapportait pas de différence sur l’efficacité du traitement tumoral, et notait la survenue de quelques pleurésies postopératoires chez les patients protégés par ascite artificielle(5).
Toujours pour cette même technique, certains auteurs soulignent son intérêt pour améliorer la fenêtre échographique, ceci suggérant un biais quant à l’utilité de l’ascite artificielle sur l’aide au bon positionnement de l’aiguille plutôt que sur ses caractéristiques isolantes(4). Il a été rapporté plusieurs cas de complications thermiques malgré l’ascite artificielle, et le gain de distance entre la tumeur et le diaphragme peut être parfois minime, en particulier dans la zone non péritonisée ou « bare area » entre les ligaments triangulaires où elle est de l’ordre de 2 mm dans une publication de 2020(9), et pour les patients ayant de nombreuses adhérences périhépatiques.
Pour pallier ce dernier cas de figure, des équipes ont proposé d’associer l’hydrodissection à l’effondrement de brides par guide pour augmenter l’hydrodissection dans la zone anatomique d’intérêt(10).
Alors que faire ?
Il n’y a probablement pas une réponse uniciste disant qu’il faut ou qu’il ne faut pas protéger le diaphragme en cas de thermoablation hépatique percutanée paradiaphragmatique.
La décision de protéger le diaphragme devrait plutôt s’appuyer sur des considérations anatomiques et cliniques. Notre avis basé sur la littérature et notre expérience est la suivante (tableau).
Anatomiquement, il ne semble pas y avoir d’intérêt à protéger le diaphragme dans sa portion postéro-supérieure non péritonisée car les principaux rameaux nerveux phréniques ne sont pas dans cette région, et qu’une plaie dans cette région ne se compliquera pas d’hydrothorax droit en cas d’ascite. En d’autres termes, une plaie diaphragmatique iatrogène dans cette région ne sera pas en règle symptomatique. Une protection du diaphragme, y compris pour cette zone, peut néanmoins se discuter pour les patients pour lesquels on envisage une chirurgie hépatique future et en particulier une transplantation hépatique, qui serait plus compliquée en cas de plaie diaphragmatique (figure).
Figure. Patient de 63 ans ayant développé un carcinome hépatocellulaire multifocal oligonodulaire dans un contexte d’éthylisme chronique, ayant eu de multiples traitements endoartériels hépatiques et thermoablations percutanées, en attente de transplantation hépatique à la suite d’un sevrage de l’éthylisme, et présentant une récidive tumorale sur une berge supérieure de zone de thermoablation du dôme hépatique antérieur (rond rouge, A).
Décision en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) d’une nouvelle thermoablation percutanée de cette lésion hépatique, avec protection diaphragmatique par du glucose à 5 % mélangé à du produit de contraste iodé du fait du risque de fistule hépato- thoracique lié aux antécédents de traitements dans cette région et de plaie diaphragmatique à réparer lors de la transplantation hépatique.
Reconstruction frontale en scanner après protection (B) et coupe axiale après mise en place d’une sonde de micro-ondes (C).
IRM en T1, après injection IV de sels de gadolinium, 3 mois plus tard (D) montrant une réponse tumorale complète, sans complication locale.
Cliniquement, la protection diaphragmatique peut également se discuter pour les patients suivants à haut risque de complication en cas de plaie thermique diaphragmatique sur zone péritonisée :
– patients insuffisants respiratoires, à risque de décompensation respiratoire ;
– patients pouvant développer par la suite de l’ascite, à risque d’hydrothorax droit de grande abondance ;
– patients ayant eu de nombreux traitements hépatiques dans la zone à traiter, et en particulier ceux ayant eu des traitements artériels et/ou des signes de cholangite (figure), à risque de développer une fistule hépatothoracique.
Il n’est pas démontré enfin qu’une protection puisse diminuer des douleurs post-thérapeutiques qui sont probablement liées en grande partie à la plaie thermique de la capsule hépatique, qui intervient dans tous les cas du fait de la position des tumeurs près de la capsule, et non à la seule plaie diaphragmatique.
Sur le plan technique, lorsqu’une décision de protection est prise, l’ascite artificielle est probablement la technique la plus robuste, pouvant être associée à l’usage d’un guide dans le cathéter pour effondrer des adhérences s’il y en a.
CONCLUSION
Les tumeurs à proximité du diaphragme présentent un défi particulier en raison de complications qui leur sont propres, mais également du fait d’un accès parfois difficile. La compréhension des complications potentielles peut conditionner la conduite à tenir quant à la pratique ou non d’une protection diaphragmatique.
La complication la plus fréquente est la survenue de douleurs pouvant être liées à la diffusion de l’onde thermique à la capsule hépatique et au diaphragme adjacent. L’utilisation d’une protection diaphragmatique pour diminuer cette complication paraît aléatoire avec un bénéfice/risque discutable.
Les complications plus sévères, mais rarement observées, comme une décompensation respiratoire, la survenue d’un hydrothorax droit ou de fistules hépatothoraciques peuvent se développer chez des patients à risque pour lesquels une protection diaphragmatique peut se discuter, cette éventualité paraissant néanmoins peu fréquente.
La prévision d’une chirurgie hépatique, et en particulier d’une transplantation, peut également constituer une indication de protection diaphragmatique.
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