Grand angle
Publié le 19 mai 2025Lecture 18 min
Traitements locorégionaux intra-artériels (chimioembolisation, radiothérapie interne sélective) du carcinome hépatocellulaire - Synthèse des recommandations 2025 de l’AFEF
Boris GUIU*, Thierry DE BAÈRE, Xavier ADHOUTE, Clément BAILLY, Carole VITELLIUS, Massih NINGARHARI, Étienne GARIN, *Service de radiologie diagnostique et interventionnelle, Hôpital Saint-Éloi, CHU de Montpellier

Les cancers primitifs du foie constituent la troisième cause de mortalité par cancer dans le monde (757 948 décès en 2022). En France, on estime en 2023 environ 11 658 nouveaux cas, avec une incidence stable chez l’homme mais en hausse chez la femme (+ 2,2 % par an). Leur pronostic est sombre (survie à 5 ans de 18-19 %), et ils représentent une priorité dans la stratégie décennale de lutte contre le cancer 2021-2030. Le carcinome hépatocellulaire (CHC), majoritaire (70 % des tumeurs primitives du foie), survient le plus souvent sur une maladie hépatique chronique, souvent cirrhotique. Sa prise en charge nécessite donc une évaluation précise de la sévérité de la pathologie sous-jacente et une approche multidisciplinaire.
Les recommandations actuelles, élaborées par la société française d’hépatologie (AFEF) avec le concours de multiples sociétés savantes, y compris la FRI, couvrent l’ensemble du parcours de soins, depuis l’épidémiologie et le bilan initial jusqu’aux traitements, en cinq chapitres didactiques dans un document de 206 pages avec des centaines de références bibliographiques, accessible sur le site de l’AFEF. Elles ont été établies selon la méthode GRADE, évaluant le niveau de preuve des études et aboutissant à des recommandations graduées (grade 1+ ou 1- pour les preuves fortes, grade 2+ ou 2- pour les preuves moindres, et avis d’experts le cas échéant). Chaque proposition a été discutée, votée, puis validée si un consensus fort était atteint. L’AFEF encourage l’application de ces recommandations tout en soulignant la nécessité d’une prise en charge pluridisciplinaire. L’objectif de cet article était de synthétiser la partie sur les traitements intra-artériels du CHC avec une 1re partie qui résume l’argumentaire de chaque question posée sur la chimioembolisation et la radioembolisation, incluant des points techniques ce qui est nouveau pour des recommandations d’une société savante clinique. En 2e partie, vous verrez la liste des recommandations validées avec leur grade.
La chimioembolisation : place et techniques
Question 1.1.1 : Quelle sélectivité pour la chimioembolisation ?
• Argumentaire
La sélectivité de la chimioembolisation améliore nettement la destruction tumorale et diminue la toxicité hépatique. Plus le geste est réalisé de manière ultrasélective, en ciblant exclusivement la tumeur (avec une fine marge de tissu sain), plus le taux de nécrose est élevé et la tolérance meilleure. Concrètement, cette approche permet d’optimiser la réponse au traitement tout en épargnant davantage le parenchyme hépatique normal, limitant ainsi les effets indésirables. En pratique, on s’efforce donc de s’approcher au plus près du nodule et de recouvrir la totalité de la lésion, afin de maximiser l’efficacité de la chimioembolisation.
Question 1.1.2 : Doit-on utiliser des microsphères chargées ou une chimioembolisation conventionnelle (lipiodolée) ?
Deux approches existent pour la chimioembolisation : la technique « conventionnelle » (c-CE) à base de Lipiodol®, et la technique avec des microsphères chargées (DEM-CE). La c-CE s’appuie sur une émulsion de chimiothérapie dans le Lipiodol®, qui favorise la sélectivité tumorale, reste durablement fixée et sert de repère radio-opaque. La DEM-CE utilise des microsphères calibrées imprégnées d’anthracyclines. Historiquement, seule la c-CE a prouvé son bénéfice comparativement aux soins palliatifs.
Les essais cherchant à montrer la supériorité de la DEM-CE n’ont pas mis en évidence de différence notable sur la réponse ou la survie, d’où une considération générale d’équivalence entre les deux techniques dans de nombreuses recommandations. Cependant, une étude plus récente menée chez des patients sélectionnés (tumeurs entre 10 et 50 mm, traitement super-sélectif) suggère un meilleur taux de réponse complète avec la c-CE, au prix d’une toxicité plus élevée. En pratique, la décision d’utiliser l’une ou l’autre technique se fonde donc sur l’expertise locale, la tolérance souhaitée et la situation clinique.
Question 1.1.3 : Doit-on faire une embolisation seule ou une chimioembolisation ?
Les molécules de chimiothérapie employées en chimioembolisation (CE) demeurent peu actives par voie systémique, mais la CE reste toutefois un standard dans le traitement du CHC, selon les recommandations internationales. Une étude de 2002 montrait déjà que la CE améliorait la survie par rapport à l’embolisation seule.
Dans un essai plus récent comparant la CE avec microsphères (DEM-CE) à l’embolisation particulaire, la survie à un an était similaire, mais le délai de progression et le taux de réponse complète se révélaient plus favorables avec la DEM-CE. D’autres travaux confirment parfois un meilleur contrôle tumoral avec la CE, même si certaines études négatives incluaient des patients de stade avancé peu représentatifs.
Enfin, un essai de phase III à trois bras (CE avec un seul agent, CE avec trois agents, ou seulement une injection lipiodolée avec trois agents) a rapporté la survie la plus faible dans le groupe recevant une unique drogue. Les auteurs soulignaient que le retrait de l’embolisation n’abaissait pas la survie après traitement intra-artériel.
Question 1.1.4 : Quelle modalité de guidage pour la chimioembolisation ?
Pour optimiser la chimioembolisation, il est indispensable de recourir à une imagerie 3D de haute qualité, via l’angiographie cone-beam CT ou MDCT, afin d’améliorer la détection et le ciblage des lésions. Les études comparant l’angio-CBCT à la simple angiographie numérique suggèrent un meilleur succès technique et moins de récidives locales lorsque l’on utilise le cone-beam. En complément, des logiciels d’analyse vasculaire et de navigation endovasculaire renforcent l’identification des branches nourricières, offrant une plus grande sensibilité que l’évaluation conventionnelle, au prix toutefois d’un taux plus élevé de faux positifs. Enfin, des outils récents de perfusion virtuelle peuvent prédire la couverture du volume tumoral et donc affiner davantage la planification du traitement.
Question 1.1.5 : Faut-il réaliser une imagerie post-chimioembolisation immédiate et laquelle ?
Après la chimioembolisation, l’imagerie « sur table » (scanner ou cone-beam CT) permet immédiatement de vérifier la distribution du Lipiodol® ou des microsphères et de s’assurer que la totalité de la tumeur, ainsi qu’une marge, sont traitées. Cette étape offre deux avantages :
– poursuivre ou compléter le geste si le dépôt est insuffisant ;
– analyser ultérieurement une éventuelle récidive ou un échec local, en distinguant une zone non traitée d’une résistance tumorale réelle.
Question 1.2.1 : Comment sélectionner les patients pour une chimioembolisation ?
Ces dernières années, la chimioembolisation reste un traitement phare du CHC de stade intermédiaire (et parfois précoce si aucune approche curative n’est possible), mais son positionnement évolue face à l’émergence de nouvelles options. Historiquement, deux essais contrôlés et plusieurs métaanalyses ont montré un bénéfice de survie de la CE comparativement aux soins palliatifs ou à l’embolisation seule, confirmé par des données plus récentes portant sur des milliers de patients. On sait néanmoins que la CE est particulièrement efficace quand la fonction hépatique est préservée (Child-Pugh A), avec un nombre et une taille modérés de nodules.
Les approches actuelles distinguent d’ailleurs des formes « bien définies » de stade BCLC-B (éligibles à la CE) des formes diffuses ou infiltrantes (plutôt candidates à un traitement systémique). Le taux de réponse complète après CE atteint fréquemment 30 à 50 % pour des tumeurs de taille réduite, notamment avec une captation homogène du Lipiodol® et l’absence de gros facteurs de risque (par exemple, invasion vasculaire). Par ailleurs, des scores d’évaluation de la fonction hépatique plus précis que le seul Child-Pugh sont utilisés. Le score ALBI (qui repose sur l’albumine et la bilirubine) affûte la sélection des patients – en distinguant notamment les stades ALBI 1 et 2, il met en évidence des pronostics différents même au sein de Child-Pugh A. D’importantes cohortes internationales montrent ainsi une meilleure survie pour les patients ALBI 1 (près de 28 mois) vs ALBI 2 (environ 18 mois).
Au total, la CE offre un gain de survie pour des patients sélectionnés (foie relativement fonctionnel, tumeurs limitées), avec un profil de tolérance acceptable (syndrome postembolisation et élévations transitoires des enzymes hépatiques). L’avenir de la CE s’inscrit vraisemblablement dans une stratégie multimodale, associant différentes techniques pour des sous-groupes spécifiques de patients, tout en s’appuyant sur des outils de classification hépatique (ALBI, Child-Pugh) et des critères radiologiques pour mieux prédire la réponse et la survie.
Question 1.2.2 : Quand faut-il arrêter de traiter par chimioembolisation ?
Les critères d’arrêt de la chimioembolisation (CE) (souvent désignés « unCEable progression » ou « CE-failure/CE-refractoriness ») font désormais l’objet d’un consensus. Ils reposent essentiellement sur :
– l’absence de nécrose suffisante : les nodules demeurent viables après deux séances de CE ;
– la progression tumorale : apparition de nouvelles lésions intra- ou extra-hépatiques, ou une invasion vasculaire ;
– la dégradation clinique et hépatique : aggravation du score Child-Pugh (≥ B8) ou de l’ECOG PS (> 1).
En pratique, l’inefficacité du traitement (pas de réponse radiologique significative) ou la détérioration de l’état général (fonctions hépatiques incluses) après deux séances conduisent à cesser la CE et à envisager une autre option (traitement systémique, prise en charge palliative, etc.).
Question 1.2.3 : Peut-on traiter par chimioembolisation un CHC avec invasion porte ?
La chimioembolisation apparaît peu concluante pour traiter un CHC avec invasion vasculaire, même lorsque le thrombus porte est relativement limité (vp1/2). Bien qu’une étude rétrospective asiatique ait suggéré un meilleur pronostic qu’avec le simple support médical, la survie globale pour ce type d’invasion porte ne dépasse en moyenne pas 11 mois selon une métaanalyse. En pratique, la SIRT ou d’autres stratégies sont préférées.
Question 1.2.4 : Les CHC BCLC-B3 (diffus, infiltrants, envahissement bilobaire extensif) doivent-ils être traités par chimioembolisation ou par un traitement systémique ?
La classification BCLC 2022 subdivise désormais le stade intermédiaire (B) en trois sous-groupes (B1, B2, B3) tenant compte de l’extension intrahépatique, de la fonction hépatique et du taux d’AFP. Les B3 (tumeurs infiltrantes, diffuses ou envahissant largement les deux lobes) sont orientés vers un traitement systémique, car leur aspect disséminé rend la chimioembolisation peu efficace. Toutefois, cette catégorisation reste imparfaitement définie et il n’existe pas de comparaison directe CE vs traitement systémique spécifiquement pour les B3. On ne peut donc pas conclure formellement à une supériorité du systémique dans ce sous-groupe précis.
La radiothérapie interne sélective (SIRT) ou radioembolisation (RE) : place et techniques
Question 2.1.1 : La phase de simulation de la radiothérapie interne sélective (SIRT) ou radioembolisation (RE) est-elle recommandée ?
La radiothérapie interne sélective (SIRT) consiste à injecter, par voie intra-artérielle, des microsphères de verre ou de résine (marquées à l’Yttrium-90) afin de délivrer une forte dose de radiations directement aux tumeurs hépatiques, tout en épargnant autant que possible le parenchyme sain.
Le procédé se déroule en deux temps :
• phase de simulation (angiographie hépatique + injection de 99mTc-MAA et scintigraphie) :
– détecter d’éventuels shunts (digestifs/ pulmonaires) et les emboliser si nécessaire,
– analyser l’anatomie artérielle et calculer la dose à administrer,
– cette étape, prédictive de la réponse et de la survie, sert de « biomarqueur » pour sélectionner les patients ;
• phase de traitement (artériographie + injection d’Yttrium-90) :
– se déroule au même point d’injection que la phase de simulation (généralement dans les 2 semaines),
– l’Yttrium-90 ayant une portée d’irradiation très courte, les contraintes de radioprotection sont limitées et le geste peut être ambulatoire.
Ce traitement requiert la collaboration de radiologues, médecins nucléaires, radiopharmaciens, physiciens, hépatologues, etc., qui décident de l’indication et de la dose à administrer.
Si la simulation n’est pas concluante, une alternative doit être envisagée. Un délai de 3 à 6 semaines entre la RCP validant la SIRT et la mise en œuvre du traitement est jugé raisonnable.
Question 2.1.2 : Quels sont les critères de sélection et les contre-indications pour les patients candidats à la RE ?
La sélection des patients pour la radiothérapie interne sélective (SIRT) est cruciale pour limiter la toxicité et maximiser l’efficacité. Outre l’évaluation clinique, biologique et radiologique habituelle, on s’appuie spécifiquement sur la phase de simulation (angiographie et scintigraphie au 99mTc-MAA) afin d’identifier d’éventuelles contre-indications (shunts digestifs ou pulmonaires, mauvais ciblage, etc.).
Principaux critères de non-sélection :
– fonction hépatique trop altérée (Child-Pugh > B7, bilirubine > 35 μmol/l, ascite) ;
– shunt digestif ou hépatopulmonaire entraînant une irradiation pulmonaire > 30 Gy ;
– envahissement majeur du foie (> 50 % chez un cirrhotique), état général (ECOG > 1), maladie extrahépatique avancée ;
– antécédents de multiples CE (≥ 2) sur la même zone ;
– mauvais ciblage ou dosimétrie insuffisante lors de la simulation.
Question 2.1.3 : La SIRT peut-elle être réalisée sans dosimétrie personnalisée ?
La planification personnalisée est essentielle pour la radiothérapie interne sélective (SIRT) : il convient de mesurer précisément les volumes à traiter (tumeur/foie) et de calculer l’activité à injecter en tenant compte de la répartition réelle des microsphères, afin de délivrer une dose suffisante pour détruire la tumeur tout en préservant au maximum le foie sain. Les essais cliniques (comme DOSISPHERE) ont démontré que porter la dose tumorale au-delà d’un certain seuil (ex. : > 205 Gy pour les microsphères de verre ou > 100 Gy pour les microsphères de résine) améliore nettement la réponse et la survie.
Selon la réserve hépatique et l’objectif recherché (curatif ou palliatif), on peut adopter des approches hypersélectives (segmentectomie ou lobectomie radique) permettant d’augmenter la dose locale tout en limitant la toxicité. Divers consensus internationaux recommandent d’adapter ces objectifs dosimétriques au contexte clinique (taille/nombre de lésions, type de microsphères), en vérifiant que la dose au parenchyme sain reste en deçà du seuil de tolérance.
Question 2.1.4 : Une dosimétrie post-thérapeutique après SIRT est-elle recommandée ?
Après une SIRT, il est fortement recommandé de pratiquer une imagerie associée à une dosimétrie post-thérapeutique. Cette étape :
– vérifie si le foie perfusé et les lésions cibles ont bien reçu l’injection prévue (détection d’un éventuel échec technique) ;
– repère d’éventuelles fixations extrahépatiques à risque de complications radio-induites ;
– évalue la cohérence entre la dose planifiée et celle réellement délivrée ;
– guide les décisions pour des traitements ultérieurs, si nécessaire.
Pour l’imagerie, la TEMP (ou SPECT) et surtout la TEP à l’Yttrium-90 peuvent être utilisées. La TEP offre une meilleure résolution et un meilleur contraste que la TEMP, facilitant la localisation précise des microsphères dans la tumeur et la détection d’une dispersion extrahépatique. Elle permet ainsi d’estimer plus finement la réponse attendue et les risques de toxicité.
Question 2.1.5 : Chez les patients ayant bénéficié d’une SIRT, quels critères de réponse radiologique utiliser ?
Après une SIRT, un suivi clinique, biologique et radiologique s’impose, afin d’évaluer à la fois la réponse tumorale et la tolérance. En pratique :
– contrôle clinique/biologique : vers 1-2 mois après la procédure, afin de détecter d’éventuels effets secondaires précoces ;
– première imagerie de suivi : environ 6 semaines post-SIRT, puis tous les 2-3 mois, en tenant compte du fait que la réduction de taille tumorale peut être lente ;
– mRECIST est préféré aux RECIST classiques, car il intègre la nécrose et la perfusion plutôt que la seule dimension lésionnelle.
Notamment, il est fréquent de constater un rehaussement tumoral persistant et une taille stable, voire en augmentation paradoxale (œdème, nécrose) jusqu’à 3 mois. L’absence d’évolution négative (pas d’augmentation progressive) est déjà un signe favorable. Après une « segmentectomie radique », la disparition du rehaussement est souvent plus rapide. Les marqueurs tumoraux (AFP) restent utiles, mais doivent être interprétés avec prudence (des élévations passagères peuvent survenir).
Avant de conclure à un échec ou de décider un nouveau traitement, il est donc conseillé d’attendre 3 à 6 mois si le geste semble techniquement satisfaisant. En cas de ciblage partiel ou d’échec technique identifié, un retraitement peut être envisagé au-delà de 4-6 semaines. Les données sur la faisabilité d’une seconde SIRT sont limitées mais suggèrent qu’elle reste possible chez les bons répondeurs initiaux, en prenant soin d’évaluer la dose cumulée au foie sain et les mêmes critères de sélection qu’en première intention.
Question 2.2 : Quelle place de la SIRT ?
• Question 2.2.1 : La SIRT peut-elle être recommandée dans les CHC avec thrombose porte et sans métastases extrahépatiques ?
Dans le CHC avec thrombose porte, les premières études de radiothérapie interne sélective (SIRT) menées sans dosimétrie personnalisée (et sans sélection stricte via la simulation) ont rapporté des survies médianes modestes (environ 8 à 12 mois), comme en témoignent les trois grands essais de phase III (SARAH, SIRveNIB, SORAMIC) comparant la SIRT au sorafénib. De plus, ces essais ont mis en évidence un taux élevé d’inéligibilité (20 à 28 %) pour la SIRT découvert au moment de la simulation, soulevant la question de la conception des études (randomisation avant vs après simulation).
En revanche, des études avec une meilleure sélection (patients ChildPugh A, peu ou pas de thrombose tronculaire, simulation préalable) rapportent des survies médianes plus longues (13 à 17 mois) chez des patients non métastatiques, sans recourir à la dosimétrie personnalisée. D’autres études, intégrant cette dosimétrie personnalisée, confirment l’intérêt de la SIRT dans des populations localement avancées, avec des survies globales dépassant 20 mois. C’est le cas de l’essai randomisé DOSISPHERE-01, où l’augmentation de la dose tumoricide (> 205 Gy) a amélioré le taux de réponse, la résection secondaire et la survie (jusqu’à 26,6 mois en médiane).
Par ailleurs, plusieurs séries suggèrent un downstaging possible pour certains patients (jusqu’à 30 % de greffe ou de résection secondaire), avec des taux de survie à 5 ans dépassant 50 % quand la tumeur est suffisamment contrôlée. Enfin, il faut souligner que les traitements systémiques n’offrent pas de données claires spécifiquement pour les CHC avec thrombose porte non métastatique. Pour des raisons éthiques et méthodologiques (découverte tardive des contre-indications à la SIRT), il paraît désormais difficile de lancer un essai randomisé SIRT + systémique vs systémique seul.
En résumé, la SIRT dans le CHC avec thrombose porte peut aboutir à des résultats notables si l’on sélectionne minutieusement les patients (Child A, pas de métastase extrahépatique, score de bilirubine maîtrisé) et si l’on privilégie une dosimétrie personnalisée pour optimiser la dose tumoricide.
• Question 2.2.2 : La SIRT peut-elle être recommandée dans le CHC BCLC 0/A chez les patients avec tumeur non résécable, non ablatable ?
La segmentectomie radique, pratiquée par SIRT, est une approche potentiellement curative pour des tumeurs localisées à un ou deux segments (généralement ≥ 3-8 cm). Les études rapportent des taux de réponse extrêmement élevés (≥ 80 %), avec une survie sans progression allant jusqu’à plus de 2 ans et une survie globale pouvant dépasser 6 ans, des chiffres comparables à ceux de la chirurgie pour des lésions de petite taille.
Plusieurs travaux soulignent un lien fort entre la dose délivrée au segment traité et le taux de réponse histologique complète, la barre des 190 Gy semblant décisive, et pouvant monter à 400 Gy pour atteindre 100 % de réponse complète. Cette stratégie, en maximisant localement l’irradiation tout en épargnant le foie sain, offre des résultats proches de ceux d’une résection, surtout pour des nodules ≤ 3 cm inopérables ou non ablatables.
• Question 2.2.3 : Chez les patients avec un projet curatif, candidats à une chimioembolisation et une SIRT, quelle approche privilégier ?
Les différentes études comparant la radiothérapie interne sélective (SIRT) à la chimioembolisation (CE) mettent en évidence, dans certaines conditions, un meilleur contrôle tumoral en faveur de la SIRT, associé à une prolongation du temps jusqu’à progression (et parfois de la survie globale). Deux essais randomisés de référence, l’un portant majoritairement sur des tumeurs classées BCLC A, l’autre incluant surtout des stades B, se sont révélés fortement positifs sur le critère principal de survie sans progression (avec un hazard ratio < 0,5), voire sur la survie globale pour l’une des études.
Sur le plan pratique, ces résultats s’expliquent notamment par la possibilité de downstaging (réduire la tumeur jusqu’à la rendre résécable ou greffable), et par le fait que la SIRT nécessite en général moins d’interventions (une simulation + un geste thérapeutique) et préserve mieux l’artère hépatique, facilitant d’éventuelles options ultérieures. La CE, de son côté, peut altérer les vaisseaux et rendre plus délicate la poursuite de traitements intra-artériels.
En résumé, dans une optique curative (résection, transplantation) ou chez des patients éligibles à une stratégie multimodale, la SIRT semble plus performante pour retarder la progression et améliorer la survie. Pour autant, certains essais de faible envergure ne retrouvent pas de différence, soulignant l’hétérogénéité des populations et la difficulté à généraliser ces conclusions.
Recommandations
Question 1 : La chimioembolisation : place et techniques
• Question 1.1.1 : Quelle sélectivité pour la chimioembolisation ?
Reco. Il est probablement recommandé de réaliser une chimioembolisation de manière super sélective. Cela nécessite de cathétériser le ou les vaisseaux nourriciers de la/les tumeurs aussi distalement que possible, ce qui rend indispensable l’utilisation d’un microcathéter (grade 2+).
• Question 1.1.2 : Doit-on utiliser des microsphères chargées ou une chimioembolisation conventionnelle (lipiodolée) ?
Reco. Il n’est probablement pas recommandé de privilégier la chimioembolisation avec particules chargées par rapport à la chimioembolisation conventionnelle (aussi appelée chimioembolisation lipiodolée) (grade 2-).
• Question 1.1.3 : Doit-on faire une embolisation seule ou une chimioembolisation ?
Reco. Il est probablement recommandé de pratiquer la chimioembolisation plutôt que l’embolisation seule (avis d’experts).
• Question 1.1.4 : Quelle modalité de guidage pour la chimioembolisation ?
Reco. Il est recommandé d’utiliser une technique d’imagerie « 3D » (de type cone beam CT ou angio-CT) perprocédure pour guider le cathétérisme lors d’un traitement intra-artériel et, si possible, des logiciels d’assistance à la navigation endovasculaire (avis d’expert).
• Question 1.1.5 : Faut-il réaliser une imagerie postchimioembolisation immédiate et laquelle ?
Reco. Il est recommandé de faire une imagerie 3D (CBCT, scanner ou IRM) immédiatement postchimioembolisation pour objectiver le territoire réellement traité et faciliter le suivi ultérieur (avis d’expert).
• Question 1.2.1 : Comment sélectionner les patients pour une chimioembolisation ?
Reco. Il n’est pas recommandé de pratiquer une chimioembolisation si Child-Pugh > B7, ascite clinique, ALBI 3 ou PS-ECOG > 1 (avis d’expert).
• Question 1.2.2 : Quand faut-il arrêter de traiter par chimioembolisation ?
Reco. Il est recommandé d’arrêter de traiter par chimioembolisation en cas : d’absence de réponse objective radiologique dans le territoire traité après 2 cures consécutives, d’apparition d’un nouveau CHC dans un territoire anatomique traité depuis moins de 3 mois, d’apparition d’une invasion macrovasculaire ou d’une métastase extrahépatique ; de détérioration de la fonction hépatique (avis d’expert).
• Question 1.2.3 : Peut-on traiter par chimioembolisation un CHC avec invasion porte ?
Reco. Il n’est probablement pas recommandé de pratiquer une CE seule comme traitement d’un CHC avec thrombose porte tumorale, y compris vp1/2 (grade 2-)
• Question 1.2.4 : Les CHC BCLC-B3 (diffus, infiltrants, envahissement bilobaire extensif) doivent-ils être traités par chimioembolisation ou par un traitement systémique ?
Reco. Le choix entre traitement intra-artériel et traitement systémique dans les BCLC-B3 (diffus, infiltrants, avec envahissement bilobaire extensif) doit être discuté en RCP de recours, faute de données comparatives dans la littérature (avis d’expert).
Question 2 : La radioembolisation (SIRT) : place et techniques
• Question 2.1.1 : La phase de simulation de la SIRT est-elle recommandée ?
Reco. Il est recommandé de réaliser la simulation (angiographie et scintigraphie 99mTC-MAA) de la SIRT pour la sélection des patients (grade 1+). Il est recommandé de valider en RCP lors de la proposition de SIRT, une alternative thérapeutique en cas de phase « simulation » non satisfaisante (shunt, ciblage incomplet, réserve hépatique insuffisante) (avis d’expert).
• Question 2.1.2 : Quels sont les critères de sélection et les contre-indications pour les patients candidats à la SIRT ?
Reco. Il n’est pas recommandé de proposer une SIRT pour les patients ayant un score de Child-Pugh > 7 ou une hyperbilirubinémie > 35 μmol/l (à prédominance conjuguée), ou avec ascite (même si uniquement radiologique), ou un envahissement hépatique majeur, ou avec altération de l’état général (ECOG > 1) ou présentant des lésions secondaires extrahépatiques ou ayant reçu plus de 2 chimioembolisations dans le territoire à traiter par SIRT (avis d’expert).
Il n’est probablement pas recommandé de faire une SIRT si la simulation met en évidence un mauvais ciblage tumoral (y compris de la thrombose tumorale si présente), ou une dosimétrie tumorale insuffisante (grade 2-).
• Question 2.1.3 : La SIRT peut-elle être réalisée sans dosimétrie personnalisée ?
Reco. Il est recommandé de faire la SIRT avec une dosimétrie personnalisée (grade 1+).
• Question 2.1.4 : Une dosimétrie post-thérapeutique après SIRT est-elle recommandée ?
Reco. Il est recommandé de faire une dosimétrie post-thérapeutique après SIRT (afin de s’assurer le bon ciblage tumoral et de faciliter le suivi) (avis d’expert).
• Question 2.1.5 : Chez les patients ayant bénéficié d’une SIRT, quels critères de réponse radiologique utiliser ?
Reco. Il est recommandé d’évaluer la réponse tumorale en imagerie en coupes à 3 et 6 mois post-SIRT (avis d’expert). Il est recommandé d’utiliser les critères mRECIST pour l’évaluation post-thérapeutique après SIRT (avis d’expert). Il est recommandé de réaliser une imagerie en coupes et un bilan biologique hépatique à 6 semaines pour s’assurer de l’absence de progression rapide (en particulier en dehors du territoire traité) et pour évaluer la toxicité, en particulier le REILD (avis d’expert).
• Question 2.2.1 : La SIRT peut-elle être recommandée dans les CHC avec thrombose porte et sans métastases extrahépatiques ?
Reco. La SIRT avec dosimétrie personnalisée est recommandée (éventuellement avec objectif de downstaging) chez les patients avec thrombose porte vp1/vp2/vp3 avec une maladie unilatérale et une réserve hépatique suffisante si la simulation de traitement est satisfaisante (grade 2+).
Il n’est pas recommandé de faire une SIRT chez les patients avec thrombose porte tronculaire étendue (vp4) ou une maladie bilobaire (avis d’expert).
• Question 2.2.2 : La SIRT peut-elle être recommandée dans le CHC BCLC 0/A chez les patients avec tumeur non résécable, non ablatable ?
Reco. La SIRT est une alternative à discuter dans le CHC BCLC 0/A chez les patients avec tumeur non résécable, non ablatable (avis d’expert).
• Question 2.2.3 : Chez les patients avec un projet curatif, candidats à une chimioembolisation et une SIRT, quelle approche privilégier ?
Reco. Chez les patients avec un projet potentiellement curatif, il est probablement recommandé de les traiter par SIRT plutôt que par chimioembolisation dans un but de traitement d’induction (réduction tumorale et hypertrophie controlatérale) avant résection ou de traitement d’attente avant transplantation (grade 2+).
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :