publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Polémique

Publié le 30 juin 2022Lecture 9 min

Les femmes radiologues interventionnelles et leurs challenges

Sophie AUFORT*, Castelnau, Vania TACHER**, Créteil, Audrey FOHLEN***, Caen

À ses prémices, la radiologie interventionnelle (RI) est apparue comme une transgression entre les sphères du diagnostic et de la thérapeutique, entraînant une reconfiguration des spécialités. À l’origine d’une redéfinition des domaines d’expertise, elle a poussé à des recompositions professionnelles entre spécialités(1). Un constat s’est aujourd’hui imposé pour les femmes radiologues : alors que la légitimisation de la RI vis-à-vis d’autres spécialités reste encore d’actualité, elle n’est qu’une minime partie de la course d’obstacles pour réussir poste à responsabilités

Cent dix-sept années nous séparent du prix Nobel de Marie Curie. Il est toujours douloureux de se rappeler de l’histoire de cette femme exceptionnelle qui n’était pas médecin, mais une figure emblématique des découvertes majeures pour notre profession. Celle-ci se voit refuser l’entrée à l’Académie de sciences en 1905, alors que son mari y fût admis pour leur travail commun et pour le prix Nobel de physique qu’ils reçurent en 1903 pour leurs travaux. La chaire de physique créée en 1904 fût alors donnée seulement à Pierre Curie. Marie Curie ne l’obtient qu’en 1910 après la mort accidentelle de son mari, étant bien la seule alors à connaître la physique des radiations. Malgré un nouveau prix Nobel en 1911 de chimie, elle se trouve accusée d’entretenir des relations « inopportunes » avec un physicien marié. On l’imagine détruite mais la première guerre éclate, et elle décide de partir sur les champs de bataille en « petite curie » pour réaliser des clichés des grands blessés en première ligne. Elle obtient pour cela en 1914 un ordre de mission du ministère de la Guerre, mais aucun moyen ne lui est fourni... Elle part alors en quête de soutiens et rencontre des femmes fortunées, qui lui offrent leurs voitures pour créer des appareils portatifs à rayons X. Un million de radiographies seront réalisées entre 1917 et 1918(2), mais elle ne reçoit aucune médaille de guerre... C’était pourtant une battante et une combattante ! Femmes médecins Une enquête réalisée en 1981 par l’Association des femmes médecins et le Conseil de l’ordre a prouvé que les femmes coupaient souvent leurs études pendant l’internat à l’occasion de leur première grossesse. Or malgré les énormes progrès dans l’implication des hommes dans la vie familiale, le remplacement des femmes pendant leurs grossesses n’est une carrière professionnelle en tant que femme, que femme radiologue et même plus encore que femme à pas effectif et il persiste toujours alors une culpabilisation de « lâcher » les collègues qui cumulent de lourdes charges de travail en leur absence. Encore à ce jour, la grossesse est perçue comme une convenance personnelle et non pas le prolongement du couple. Le cursus hospitalier n’est pas aménagé pour les femmes, dans une période de vie où la montée en puissance des carrières et la grossesse se jouxtent forcément. Simone Veil, lorsqu’elle était ministre de la Santé, avait exigé que les jurys nationaux de promotion des professeur universitaires et professeurs hospitaliers (PUPH) soient plus composés de femmes. Une loi avait été votée le 9 mai 2001 exigeant que 23 % des jurys soient des femmes... Alors le débat inéluctable de la discrimination positive montre alors le bout de son nez... Est-ce si injuste de promouvoir les femmes là où l’égalité devrait être la norme depuis bien longtemps dans des cursus femmes à poste à responsabilités ? La compétence doit rester la norme. La revue Nature a montré en 2012 que seulement 14 % de ses rewiewers étaient des scientifiques de sexe féminin(3). Un article français publié récemment par Philippe Soyer et coll. a montré une sous-représentation des auteurs dans la revue Diagnostic & Interventional Imaging en 2021 : seulement 31,6 % des articles avaient un premier auteur féminin et 20,2 % un dernier auteur féminin(4). État des lieux sur la situation en France : freins spécifiques aux femmes La place de la femme en radiologie interventionnelle s’observe autour de quatre situations intriquées : • la femme en tant que patiente connaît d’importantes possibilités de traitements spécifique, mini-invasif, insuffisamment connu du grand public comme l’embolisation des fibromes ; • la femme en tant que professionnelle, avec ses freins connus intrinsèques, historiques, sociaux, financiers et familiaux. • la femme en tant que professionnelle, radiologue interventionnelle, avec des freins spécifiques à cette discipline qui sont de trois ordres : la maternité avec la gestion de l’exposition aux rayons X pendant la grossesse, la gestion de la vie privée et la continuité des soins ; • enfin, les femmes radiologues interventionnelles désireuses de mener des carrières à fortes responsabilités qui cumulent ces différents obstacles. Les femmes en radiologie interventionnelle ont été mises à l’honneur aux Journées Françaises de Radiologie (JFR) 2021. La radiologie interventionnelle est une discipline en pleine croissance qui connaît une véritable révolution technologique. Les indications et les applications en radiologie interventionnelle ne cessent de croître et nécessitent de renforcer les forces humaines nécessaires. Cependant, la radiologie interventionnelle ne compte que très peu de femmes dans ses effectifs en France mais également dans le monde (< 15 %). Dans le monde universitaire, cet écart croît davantage (< 10 % des effectifs). Aujourd’hui, le corps des MCU-PH en radiologie et imagerie médicale compte 16 MCU-PH, dont 3 femmes (dont 1 RI) et 13 hommes (dont 5 RI) et le corps des PU-PH comptent 175 PU-PH, dont 39 femmes (dont 11 RI) et 136 hommes (dont 65 RI). D’éventuelles solutions questionnent : faut-il promouvoir la discrimination positive ? Changer notre organisation ? Encourager la place du mentor féminin (« rôle modèle ») dans la carrière ? Afin d’effectuer un état des lieux de la situation en France, une enquête a été réalisée et les résultats ont été communiqués à la session « Les femmes en radiologie interventionnelle » des JFR 2021. Cette enquête envoyée à tous les radiologues français inscrits à la SFR portait tant sur les vocations pour cette spécialité que sur les profils des radiologues afin de rapporter « les attraits et les freins à la pratique de la radiologie interventionnelle en France ». Cette enquête a noté un taux de réponses de 4 %, soit 305 radiologues parmi les 8 645 inscrits à la SFR ; 66 étaient des femmes (22 %) et 239 (78 %) des hommes. Parmi eux, 67 % des hommes (159/239) et 50 % des femmes pratiquaient la RIA (33/66). Vingt parmi les 33 (61 %) étaient des femmes et 120 des 159 (75 %) étaient des hommes pratiquant la RIA et participés à la PDSES dans l’enquête. Dans le parcours des radiologues interventionnels, un mentor était présent parmi 20 des 33 femmes (61 %) et 119 des 159 hommes (75 %). La vocation de devenir radiologue survenait lors du second cycle des études médicales tandis que la volonté de devenir radiologue interventionnel advenait lors de l’internat. L’enquête a révélé qu’une seule parmi les 33 femmes (3 %) n’avait pas choisi la discipline par un sentiment d’inégalité homme/femme et qu’un homme parmi les 80 hommes (1 %) avait renoncé au choix de la spécialité du fait de l’absence de soutien hiérarchique. Plus fréquent sont ceux qui avaient arrêté la RIA parmi les femmes : 8/33 (24 %) pour un sentiment d’inégalité homme/femme et parmi les hommes : 49/80 (61 %) du fait de l’absence de soutien hiérarchique. Les obstacles ressentis à la pratique de la RIA étaient fréquents. Vingt-cinq des 33 femmes (76 %) les rapportaient et par ordre de fréquence décroissante étaient cités : le sentiment d’inégalité homme/femme, l’aspect financier (rémunération insuffisante), la lourdeur administrative et la faible valorisation financière (mauvaises cotations des séjours et des actes), et la concurrence avec d’autres disciplines. La maternité était un des freins largement rapporté par les femmes. Elles étaient peu nombreuses à pratiquer enceintes 8/25 (24 %) et elles relataient le sentiment d’avoir été pénalisées par la grossesse et par l’exigence de la profession, en particulier par la continuité des soins et la gestion familiale. Cent sept des 159 (67 %) hommes avaient rapporté par ordre de fréquence décroissante les freins suivants : l’aspect financier (rémunération insuffisante), la lourdeur administrative et la mauvaise valorisation financière de la RI (mauvaises cotations des séjours et des actes), ainsi que le stress. La femme radiologue interventionnelle dans le monde Si l’on veut maintenant comparer la femme radiologue interventionnelle dans différents pays et au sein des différents continents, il existe une littérature récente assez abondante sur le sujet. Parmi les auteurs, le Pr Anna Maria Belli en est un très actif sur le sujet. A. M. Belli est radiologue interventionnelle au St George’s University Hospital à Londres. Elle a été nommée professeur en 2008, présidente du CIRSE, présidente de la British Society of Interventional Radiology et membre du comité consultatif des procédures interventionnelles : National Institute for Health and Care Excellence’s (NICE), entre autres. Sa citation préférée est celle de Groucho Marx : « Seulement un homme sur mille est un leader d’hommes - les 999 autres suivent des femmes ». Dans une de ses publications, on retrouve le fait que la diversité des genres permet une meilleure créativité, innovation et collaboration. Il serait même suggéré que les femmes aient de meilleurs résultats cliniques, etc. De plus, bon nombre de patientes préfèrent se faire soigner par des radiologues interventionnels du même sexe. Malgré tout, la femme radiologue interventionnelle ne représente dans le monde qu’une toute petite partie de la population de notre spécialité, comme nous l’a rappelé le Dr Rana Tarek, qui exerce en Egypte, lors d’une très belle présentation aux JFR 2021. Au Royaume-Uni, seulement 10 % des RI sont des femmes, aux États-Unis 9,2 % et au Canada 10,6 %. En 2018, au sein des sociétés européenne (CIRSE) et américaine (SIR) de RI, les femmes ne représentaient que 12 % des membres. En Australie, aucune femme RI n’était recensée. Au Moyen Orient, du fait de l’environnement socioéconomique et conservateur, les femmes sont sous-représentées dans le système de santé. D’après une étude publiée par le Dr Tarek, les principaux freins sont : l’exposition aux rayons X, les responsabilités liées à la grossesse et la maternité, ainsi que l’absence de soutien des maris. D’après la publication du CIRSE (A. M .Belli), il en est de même en Europe et aux États-Unis. Mais un sujet diffère au sein des différentes sociétés civiles : l’exposition des femmes enceintes aux rayonnements ionisants. La littérature scientifique se veut rassurante sur le sujet et permet ainsi à certaines de laisser les futurs nouveau-nés exposés aux rayonnements ionisants. En France, le principe ALARA, bien reconnu des radiologues, devrait permettre, selon le principe de précaution, d’éviter tout risque même minime pris inutilement. Malgré toutes ces difficultés, les choses évoluent tout de même. En effet, de plus en plus de femmes prennent la voie de la RI, et ce même dans un pays comme l’Egypte, comme l’a souligné le Dr Tarek. La tendance est liée au mariage de plus en plus tardif, qui va de pair avec les grossesses plus tardives. Un autre point semble permettre l’accès au cursus de RI par les femmes : la flexibilité des horaires. Les sociétés savantes telles que le SIR, CIRSE et le PAIRS (panarabe) vont dans ce sens et œuvrent pour avoir de plus en plus de femmes en RI. Les femmes radiologues interventionnelles suscitent des vocations auprès des autres femmes et ce dans le monde entier. Le “mentor féminin” est une des conditions sine qua non pour permettre la féminisation de notre spécialité. Il reste toutefois des inégalités dans le monde, rien que par le fait de la durée du congé maternité très variable en fonction des pays, de la vision de la société sur la femme qui travaille au lieu de s’occuper de sa famille et de ses enfants. Certains hommes avouent qu’il est difficile de concilier travail et famille ; ce constat n’en est que plus flagrant pour les femmes, où qu’elles se trouvent dans le monde. Mais la RI a besoin de femmes, de femmes compétentes et dirigeantes ! Et les femmes savent que la RI a besoin d’elles. Rappelons-nous que c’est à deux hommes illustres que nous devons les débuts de la radiologie et la radiologie interventionnelle, tout d’abord Roentgen avec la découverte des rayons X en 1895, puis Charles Dotter qui réalisa pour la première fois un geste thérapeutique sur le corps humain, père fondateur de notre spécialité. En 1963, il réalise un aortogramme pour explorer une sténose de l’artère rénale et place le cathéter par erreur dans une artère ayant pour résultat sa désobstruction ! « The angiographic catheter can be more than a tool for passive means for diagnostic observation; used with imagination, it can become an important surgical instrument » (Dotter, 1963). Alors comme nos précurseurs le furent, soyons inventifs et courageux pour que les femmes ne restent pas des « sleeping beauty » !   Sophie AUFORT*, Vania TACHER**, Audrey FOHLEN*** *Groupe CRP, Clinique du Parc, Service d’imagerie médicale, Castelnau **Université Paris Est, Unité Inserm U955 n°18, AP-HP, Hôpital Henri Mondor, Service d’imagerie médicale, Créteil ***Secteur urodigestif et radiologie interventionnelle, CHU de Caen ; ISTCT UMR 6030-CNRS, unité CERVOxy, Université de Caen-Normandie

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème