publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

C Demain

Publié le 30 mar 2022Lecture 9 min

Immunothérapie et chimio-embolisation dans le CHC

Vania TACHER, Mario GHOSN, Alain LUCIANI, Hicham KOBEITER, Université Paris Est, Unité Inserm U955 n°18, Hôpital Henri Mondor, AP-HP, Service d’imagerie médicale, Créteil

L’immunothérapie a révolutionné la prise en charge des cancers et commence à s’imposer parmi les thérapies des carcinomes hépatocellulaires (CHC) avancés. Révolutionnera-t-elle également la radiologie interventionnelle en s’imposant comme un nouveau traitement des stades intermédiaire et avancé en combinaison avec les thérapies loco-régionales comme les chimio-embolisations (CHE) ?

Le CHC est la septième cause de cancer et la seconde(1) cause de mortalité par cancer dans le monde. La plupart des CHC surviennent dans le cadre d’une cirrhose de causes variables comme l’hépatite virale, la consommation excessive d’alcool et le syndrome métabolique. L’incidence du CHC varie selon les régions du monde. Les taux les plus élevés sont observés en Asie de l’Est et en Afrique subsaharienne avec plus de 20 cas pour 100 000 habitants. Le choix du traitement dépend de la charge tumorale et de la fonction hépatique selon l’algorithme du Barcelona Clinic Liver Cancer (BCLC) et les recommandations de la Société européenne de l’étude du foie (EASL) mais également de la localisation et des comorbidités du malade(2,3). La transplantation hépatique, la résection chirurgicale et la destruction tumorale percutanée sont les principales options de traitement curatif des patients atteints de CHC à un stade précoce de la maladie ; cependant, environ 70 % des patients ne pourront pas bénéficier de ces traitements du fait d’un stade évolué. La survie médiane des patients avec une maladie avancée est généralement de 6 à 9 mois sans traitement(4). Depuis 2008, le traitement par inhibiteur de la tyrosine kinase, le sorafénib, a montré un bénéfice sur la survie des patients avec un stade avancé de CHC et une fonction hépatique préservée (Child A)(4). D’autres molécules inhibitrices de la tyrosine kinase ont montré leur non-infériorité par rapport au sorafénib depuis 2017 comme le lenvatinib, et leur avantage sur la survie contre placebo pour le regorafenib et le cabozantinib en 2 ligne(5-7). La chimio-embolisation (CHE) est une thérapie loco-régionale de choix chez les patients atteints d’un cancer hépatique de stade intermédiaire (stade B) selon l’algorithme BCLC(2). La survie globale des patients traités par CHE dans les études cliniques dépassent les 2 ans, soulignant ainsi la capacité de cette thérapie à retarder la progression tumorale à prévenir la propagation systémique et à prolonger l’espérance de vie des patients qui ne sont pas éligibles aux thérapies curatives. La CHE permet également de contrôler la maladie chez les patients en attente de transplantation hépatique et d’éviter ainsi le risque de sortie de liste à cause d’une progression tumorale(8). La survie globale des patients traités par CHE dans les études cliniques dépassent les 2 ans, soulignant ainsi la capacité de cette thérapie à retarder la progression tumorale, à prévenir la propagation systémique et à prolonger l’espérance de vie des patients qui ne sont pas éligibles aux thérapies curatives. Bien qu’efficace, la CHE ne permet pas toujours de contrôler la croissance tumorale du CHC et demeure principalement réalisée à des fins palliatives(9). Au cours des dernières décennies, de nombreuses études ont été conduites pour améliorer le pronostic à long terme des patients atteints de CHC traités par une CHE en associant à la thérapie loco-régionale, une thérapie systémique telle que le sorafénib ou le bévacizumab, un inhibiteur du facteur de croissance de l’endothélium vasculaire (Vascular endothelial growth factor ou VEGF), afin de favoriser l’inhibition séquentielle ou concomitante des voies pro-angiogéniques et améliorer davantage l’efficacité d’une CHE(10,11). L’étude TACTICS a récemment démontré qu’un traitement concomitant par le sorafénib et la CHE pourrait retarder la progression tumorale sans pour autant démontrer un bénéfice sur la survie globale ; d’autres essais cliniques de phases II/III n’ont pas permis d’établir une réelle efficacité de ces thérapies combinées à ce jour(5,10-12). La radio-embolisation est une autre thérapie loco-régionale de choix pour les patients ayant des CHC de stades intermédiaire et avancé. Même si elle ne figure pas comme étant une thérapie de première intention dans l’algorithme de BCLC, cette thérapie est de plus en plus utilisée, tant à un stade précoce pour favoriser le dowstaging tumoral que dans les stades avancés où elle rentre en compétition avec les thérapies systémiques(13). Deux essais randomisés, SARAH et SIR-veNIB réalisés chez des patients atteints de CHC localement avancés, n’ont cependant pas démontré d’amélioration de la survie des malades par rapport au traitement par sorafénib(14,15). D’autres types de thérapies sont en cours d’évaluation comme la vaccination, la virothérapie et l’immunothérapie. Seule cette dernière sera abordée ci-dessous. Les systèmes immunitaires innés et adaptatifs jouent un rôle important dans la surveillance des cancers et le contrôle de la progression tumorale. Les dysfonctions dans les interactions entre la tumeur et le système immunitaire conduisent à une invasion tumorale par la reconnaissance altérée des antigènes et/ou par la création d’un microenvironnement tumoral (MET) immunosuppresseur(16). La reconnaissance réduite des antigènes tumoraux par les cellules immunitaires se produit de façon épigénétique et post-transcriptionnelle, par l’altération de la présentation des antigènes ou la génération de néoantigènes associés à la tumeur(17). Le CHC entraîne un MET par des modifications portant sur : – le type, la fonction et la quantité de cellules immunitaires ; – les points de contrôle immun ; – l’expression d’antigènes spécifiques et de néoantigènes ; – l’expression moléculaire spécifique(18). Chacun de ces éléments de l’ensemble ci-dessus représente une cible pour une immunothérapie potentielle. Les points de contrôle du système immunitaire Ils sont des récepteurs qui interviennent dans la modulation de l’activation des cellules immunitaires afin de limiter la durée et l’intensité de la réaction immune. Certains cancers et notamment les tumeurs hépatiques exploitent ce mécanisme physiologique pour échapper aux réponses immunitaires antitumorales en exprimant des ligands correspondants à ceux des cellules stromales(19). L’antigène CTLA4 est exprimé principalement par les cellules T régulatrices et également, dans une moindre mesure, par les lymphocytes T activés. Il empêche l’activation des lymphocytes T activés et sert de molécule effectrice pour les cellules T régulatrices(20). La protéine PD-1 est exprimée par les lymphocytes T activés, les cellules tueuses naturelles, les cellules T régulatrices, les cellules myéloïdes suppressives, les monocytes et les cellules dendritiques, tandis que son ligand, le PD-L1, est exprimé par certaines cellules stromales, comme les cellules myéloïdes et les cellules dendritiques, mais aussi par les cellules tumorales. La protéine PD-1 induit un épuisement fonctionnel des lymphocytes T activés. Les inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (ICI) sont des anticorps monoclonaux qui bloquent l’interaction des protéines de point de contrôle avec leurs ligands, empêchant ainsi l’inactivation des cellules T. Dans les différents types de tumeurs, les ICI ont prouvé qu’une réponse immunitaire efficace était capable d’éliminer une tumeur, transformant ainsi l’approche des traitements des cancers. L’expression d’antigènes tumoraux dans le microenvironnement du CHC Elle constitue la première étape du développement d’une réponse cellulaire T spécifique à la tumeur. Une réponse immunitaire spontanée est induite au cours de l’hépatocarcinogenèse par l’expression dérégulée d’antigènes oncofœtaux(21). Les lymphocytes T CD8+ d’origine naturelle spécifiques de AFP et du glypicane 3 (GPC3) peuvent être détectés dans le sang de patients porteurs de CHC et leur présence est corrélée à la réponse tumorale et à la survie des malades(21). Cependant, les mutations génomiques survenant au cours de l’hépatocarcinogenèse pourraient entraîner des modifications dans la production d’acides aminés et donc de néoantigènes cancéreux affectant ainsi l’efficacité de la réponse immunitaire(22). Les cellules immunitaires dans le microenvironnement du CHC Le foie a un environnement immunitaire anti-inflammatoire afin de favoriser la tolérance aux molécules exogènes comme les antigènes des aliments. Chez l’homme, dans le foie résident des cellules non parenchymateuses telles que les cellules de Kupffer, les cellules étoilées hépatiques et les cellules endothéliales sinusoïdales. Elles coopèrent dans le maintien d’un milieu tolérogène. Celles-ci ainsi que les macrophages hépatiques agissent comme des cellules présentatrices d’antigènes. Les cellules de Kupffer produisent des molécules inhibitrices telles que l’interleukine-10 (IL-10), des prostaglandines et l’indoléamine 2,3-dioxygénase-1 (IDO) et favorisent l’activation des cellules T régulatrices. Les cellules endothéliales sinusoïdales du foie expriment des niveaux élevés de PD-L1 et conduisent à la production de cellules T régulatrices induite par le TGF . Les cellules stellaires hépatiques libèrent le facteur de croissance des hépatocytes (HGF), qui favorise l’accumulation de cellules myéloïdes dendritiques suppressives et de cellules T régulatrices dans le foie, et peut également induire l’apoptose des lymphocytes T via l’expression de PD-L1. La réponse de l’immunité adaptative chez les patients atteints de CHC est ainsi diminuée par l’enrichissement du MET de lymphocytes dysfonctionnels. La réponse immunitaire innée est également atténuée et les mécanismes impliqués comprennent l’expression de récepteurs inhibiteurs, l’immunosuppression médiée par des cellules myéloïdes suppressives et l’accumulation de cellules tueuses naturelles dysfon tionnelles. Un certain nombre de types de cellules immunitaires et stromales, abondantes dans les tumeurs du CHC, coopèrent dans la génération d’un MET immunosuppressif et leur présence est généralement corrélée à un mauvais pronostic. À titre d’exemple, la concentration des cellules T régulatrices dans le foie est corrélée à un mauvais pronostic dans le CHC(23,24). Il existe un autre mécanisme permissif de l’invasion tumorale par lequel les cellules myéloïdes suppressives favorisent la progression tumorale par la production de VEGF, en induisant l’angiogenèse du tissu malin. Et enfin, la présence de macrophages au profil M2-like a tendance à être corrélée à un pronostic sévère dans le CHC. L’environnement péritumoral du CHC est également important. Les cellules de Kupffer péri-tumorales expriment des niveaux plus élevés de PD-L1 que le foie non tumoral et les cellules stellaires hépatiques activées en périphérie contribuent également au mauvais pronostic de la maladie(25). L’immunothérapie passe par le développement d’inhibiteurs de point de contrôle immunitaire (ICI) ciblant la protéine de surface PD-1 des lymphocytes T activés et la protéine 4 associée aux lymphocytes T cytotoxiques (CTLA-4) ; celle-ci progresse rapidement dans le cancer du foie. L’efficacité des monothérapies par les inhibiteurs anti-CTLA-4 (comme le trémélimumab) et par les inhibiteurs de la protéine PD-1 (comme le nivolumab et le pembrolizumab) demeure limitée dans le CHC à ce jour car elles induisent un rejet tumoral radiologiquement mesurable chez environ 20 % des patients sans améliorer la survie des malades(9,26,27). Les résultats de l’étude ImBrave150 mettent en évidence la nécessité d’une approche combinée pour améliorer la survie des malades par l’inhibition simultanée de la protéine PD-L1 (atézolizumab) et du VEGF (bévacizumab), s’imposant ainsi comme une nouvelle ligne de traitement du CHC non résécable(28). L’effet sur l’immunité adaptative traduite par la présence d’une réponse spontanée des lymphocytes T induite par la CHE sont prédictifs d’un meilleur résultat(9,29-31). Plusieurs essais cliniques sont en cours pour évaluer l’action synergique des ICI lors des CHE pour favoriser la réponse immunitaire antitumorale et améliorer le contrôle tumoral (tableau). Les résultats préliminaires présentés par Ming Kuang, MD, PhD, de l’hôpital affilié à l’université Sun Yatsen à Guangzhou, en Chine à l’ASCO (Gastrointestinal Cancers Symposium) 2022 de l’essai de phase III LAUNCH évaluant la combinaison du lenvatinib avec la CHE, ont montré dans le CHC avancé que l’association améliorait la survie globale, la survie sans progression et le taux de réponse global des malades avec une une toxicité acceptable(32). Deux essais sont également proposés non plus en association avec la CHE, mais en compétition avec elle (ABC-HCC, RENOTACE) étant donné les taux de réponse des combinaisons à base d’immunothérapie qui deviennent très compétitifs avec ceux rapportés pour la CHE seule.

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème