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Grand angle

Publié le 30 mar 2022Lecture 12 min

Ostéosynthèse cimentée percutanée en oncologie

Frédéric DESCHAMPS, Thierry DE BAERE, Charle ROUX, Lambros TSELIKAS, Département de radiologie interventionnelle, Institut Gustave Roussy, Villejuif

Les métastases osseuses et l’ostéoporose compromettent l'intégrité osseuse chez les patients cancéreux et exposent à des risques de fractures. La cimentoplastie est le traitement percutané de référence pour l’antalgie des fractures et la consolidation des métastases osseuses par injection radioguidée de polyméthyle méthacrylate (PMMA). Une nouvelle approche consiste à optimiser la cimentoplastie par l’association à une vis : l’ostéosynthèse cimentée. Le rationnel de cette technique est d'améliorer la résistance du ciment aux contraintes de cisaillement et de tension qui s’appliquent sur le bassin et les cols fémoraux.

Les chirurgiens orthopédistes utilisent déjà la technique d’ostéosynthèse pour la stabilisation de fractures traumatiques. Malgré l’expérience technique du chirurgien, l’approche percutanée de l’ostéosynthèse pelvienne peut être techniquement difficile en raison de la forme, de la taille et du contour variables de la ceinture pelvienne. De plus, la destruction tumorale lytique de l’os peut rendre vaine une approche fluoroscopique traditionnelle car les repères osseux peuvent être mal visibles. Les progrès de l’imagerie interventionnelle offrent la possibilité d’effectuer une ostéosynthèse cimentée par les radiologues interventionnels dans deux grandes indications : la stabilisation des fractures et la consolidation des métastases ostéolytiques. Stabilisation des fractures La survenue d’une fracture est un événement fréquent en oncologie car beaucoup de patients souffrent d’une fragilisation du tissus osseux. Cette fragilisation est secondaire au développement de métastases « ostéolytiques » mais également liée à une forte prévalence d’ostéoporose chez les patients cancéreux (idiopathique, iatrogène, inflammatoire, etc.). L’impact d’une fracture sur la qualité de vie est majeur : d’une part, car elle représente une source de souffrance et de handicap important, mais également car elle expose aux complications de décubitus et de surdosage morphiniques. Par ailleurs, la prise en charge des douleurs fracturaires entraîne souvent un retard de prise en charge de la maladie cancéreuse en décalant les traitements oncologiques. Le principe du soulagement des douleurs fracturaires repose sur l’immobilisation du foyer de fracture. Celle-ci peut être obtenue par immobilisation du patient (repos au lit, corset, plâtre, etc.) dans l’espoir d’une réossification stabilisatrice et pérenne. Ce phénomène est cependant aléatoire et parfois très long en oncologie, notamment lorsque la fracture est secondaire à une fragilisation post- radique ou lorsque la fracture est pathologique. Le recours à des techniques de chirurgie orthopédique (pour des fractures dites « instables » ou déplacées) ou de radiologie interventionnelle (pour des fracture dites « stables » et non déplacées) est donc souvent nécessaire pour soulager les patients. Les techniques de radiologie interventionnelle utilisées pour immobiliser les foyers fracturaires sont la cimentoplastie et l’ostéosynthèse cimentée. • La cimentoplastie consiste à injecter dans le foyer de fracture une petite quantité de PMMA dont l’objectif est de « coller » les fragments osseux entres eux. Cet effet est souvent spectaculaire et rapide, notamment dans les fractures vertébrales par compression (vertébroplastie). L’efficacité de la cimentoplastie sur les fractures du bassin est beaucoup plus aléatoire, d’une part car les traits de fractures sont souvent plus étendus et plus larges et, d’autre part, car la diffusion du ciment dans le foyer de fracture est difficilement prédictible et expose aux risques de fuites extra-osseuses. C’est donc dans les indications de stabilisation antalgique des fractures du bassin que l’ostéosynthèse cimentée apporte une véritable plus-value par rapport à la cimentoplastie seule. • La technique d’ostéosynthèse cimentée consiste à rapprocher deux fragments osseux d’une fracture à l’aide d’une vis dont la pointe est ancrée par du ciment dans le fragment distal et dont la tête est plaquée contre une corticale osseuse du fragment proximal. L’utilisation de vis avec un filetage uniquement distal et la réalisation d’un trajet d’insertion perpendiculaire au foyer de fracture permet d’optimiser l’immobilisation fracturaire grâce à une meilleure impaction des fragments entres eux. L’injection de ciment dans le fragment osseux distal permet de limiter le risque de recul de la vis, particulièrement fréquent sur os porotique, radique et/ou métastatique. Le développement des logiciels de guidage en imagerie et la multiplication des blocs opératoires équipés d’imagerie multimodale (Cone Beam CT/ angio-CT) a permis un essor important et rapide de l’ostéosynthèse cimentée en oncologie et positionnent « de facto » les radiologues interventionnels comme acteurs principaux de cette technique percutanée(1). Compte tenu de l’implantation de vis intra-osseuse, la réalisation d’une ostéosynthèse cimentée impose des règles d’asepsies strictes et un bloc interventionnel aux normes ISO. Cette intervention nécessite généralement une anesthésie générale et un bolus d’antibiotiques est injecté en début de procédure. La possibilité de réaliser des imageries 3D (CBCT ou scanner), ainsi que l’utilisation de logiciels de guidage d’aiguilles sont des aides précieuses en cours d’intervention. Typiquement, une imagerie 3D est acquise en début de procédure, lorsque le patient est en position, sous anesthésie générale. Cette première acquisition va permettre de réévaluer la fracture et de planifier une trajectoire pour l’insertion de la vis. L’opérateur va ensuite insérer une aiguille 8G dans le bassin du patient en suivant la trajectoire planifiée grâce à un guidage fluoroscopique « augmenté ». Une fois l’aiguille 8G en place, une deuxième acquisition 3D est réalisée pour confirmer le trajet et mesurer la longueur de la vis à insérer. Un trajet est considéré comme correcte lorsque la trajectoire de l’aiguille pénètre une corticale saine du fragment osseux proximal, traverse le foyer de fracture perpendiculairement et se termine dans le fragment osseux distal. À ce stade, l’opérateur va injecter quelques millilitres de ciment dans le fragment osseux distal par l’aiguille 8G, puis échanger cette même aiguille 8G pour une vis canulée sur une tige de Kirschner. L’avancée de la vis se fera en utilisant un tournevis canulé et sous contrôle fluoroscopique. L’insertion de la vis devra être rapide afin de pénétrer le ciment fraichement injecté avant sa polymérisation définitive (figure 1). En fin de procédure, une dernière acquisition 3D est réalisée pour évaluer s’il est nécessaire de repositionner la vis ou de faire une injection de ciment complémentaire. Pour faciliter le passage de la vis, une incision cutanée centimétrique est préférable en début d’intervention. Celle-ci nécessite idéalement un point de suture en fin de geste. L’ostéosynthèse cimentée percutanée est principalement indiquée dans le pelvis ou le col fémoral(2-6), bien que des études récentes aient suggéré un rôle potentiel dans d’autres localisations, telles que l’épaule(8) ou le sternum(9). Une première étude, publiée en 2012, a rapporté 12 procédures d’ostéosynthèse percutanée de métastases ostéolytiques du col fémoral(2). Dans cette étude, les patients symptomatiques (n = 8) ont été soulagé de façon significative avec une diminution de leur douleur préopératoire de 6,5/10 (range : 2-9) sur l’échelle visuelle analogique (EVA) à 1/10 (range : 0-3) à 1 mois de l’intervention. Plus récemment, le bénéfice antalgique de l’ostéosynthèse cimentée percutanée a été évalué sur une série rétrospective de patients souffrant de fractures pathologiques pelviennes(7). Dans cette étude, un total de 107 procédures percutanées ont été réalisées pour soulager 141 fractures pathologiques chez 100 patients. Des complications sont survenues parmi 14 patients : douleur (> 48 h) focale au site de ponction (n = 5), hématome (n = 3), fracture malgré l’ostéosynthèse (n = 2), infection (n = 1), ensemencement tumoral (n = 1) et déplacement de la vis (n = 2). Parmi les 88 patients qui ont terminé le suivi précoce, le score moyen de la douleur sur l’EVA a été significativement amélioré à 6 semaines, passant de 6,1 ± 2,5 à 2,1 ± 3,0 (p = 0,001). L’utilisation d’opioïdes a également été réduite à 6 semaines (91,3 g ± 121 en préprocédure vs 64,6 g ± 124 en postprocédure ; p = 0,04). De façon similaire, l’ostéosynthèse cimentée permet la stabilisation antalgique de fracture du sternum (figure 2). Une étude publiée sur ce sujet en 2019 a montré que pour 7 patients ayant une fracture sternale douloureuse, le score EVA diminuait de façon significative après immobilisation par ostéosynthèse cimentée percutanée, passant de 5,6/10 ± 2,8 à 1,1/10 ± 1,6 à 1 mois(9). La consommation d’analgésiques était également significativement diminuée (p = 0,03) après l’intervention. Dans cette étude, aucune complication postopératoire ni aucun déplacement de vis ne sont survenus après un suivi moyen d’imagerie > 1 an. Consolidation des métastases ostéolytiques Les propriétés physiques du ciment PMMA offrent une résistance aux forces de compression axiales qui s’exercent lors des activités de mise en charge. Ces propriétés font du ciment un composant tout à fait approprié pour la consolidation des vertèbres métastatiques(10). Cependant, une limitation majeure du ciment PMMA est la faible résistance aux contraintes de traction et de cisaillement. Ces forces non axiales sont particulièrement importantes au niveau du bassin et des os longs. Un autre inconvénient majeur de la cimentoplastie est la mauvaise maîtrise de la distribution du ciment lors de l’injection. La zone de lyse tumorale n’étant pas systématiquement une zone de basse pression, le « remplissage » de celle-ci est très variable en fonction de différents paramètres : taux de nécrose tumoral, vascularisation, fibrose, etc. Par ailleurs, l’existence d’une rupture corticale liée à l’ostéolyse tumorale, expose à des fuites extra-osseuses et à des complications iatrogènes. L’ostéosynthèse cimentée percutanée permet de pallier aux inconvénients et aux insuffisances d’une consolidation par cimentoplastie seule au niveau du pelvis et du col fémoral. Tout d’abord d’un point de vue mécanique, l’association d’une ostéosynthèse avec une cimentoplastie a démontré une meilleure résistance aux contraintes que la cimentoplastie seule ou l’ostéosynthèse seule sur un modèle de fantôme anthropomorphique(11). Cette étude a en effet évalué les comportements biomécaniques de trois techniques distinctes de consolidation périacétabulaire percutanée en utilisant 20 fantômes pelviens fabriqués sur mesure pour simuler une lésion périacétabulaire de type Harrington III. Tous les fantômes ont été soumis à des contraintes mécaniques simulant une position monopodale. L’ostéosynthèse cimentée a démontré la plus grande rigidité (1013 ± 92 N/mm), suivis par le ciment seul (893 ± 49 N/mm). Ces deux groupes étaient significativement plus solide que la vis seule (543 ± 114 N/mm ; p < 0,0001) et le bassin non consolidé (580 ± 91N/mm ; p < 0,0001). L’indication d’une consolidation préventive par ostéosynthèse cimentée doit toujours être discutée en staff de concertation pluridisciplinaire, notamment afin d’évoquer une alternative chirurgicale et une association à des techniques de destruction tumorale par radiothérapie ou de destruction thermique percutanée (radiofréquence, cryothérapie). D’un point de vue technique, la consolidation d’une métastase ostéolytique par ostéosynthèse cimentée est très similaire à celle utilisée pour la stabilisation des fractures, détaillée ci-dessus : une aiguille 8G traverse la zone de lyse pour injecter du ciment dans l’os distal afin « d’ancrer » la vis de façon stable. Cette aiguille sera ensuite rapidement échangée sur tige de Kirschner pour une vis canulée qui sera avancée jusqu’à pénétrer le ciment avant sa polymérisation. Dans cette configuration, la vis va permettre de répartir les forces mécaniques sur ses extrémités, c’est-à-dire au niveau de la pointe cimentée et de la corticale par laquelle elle est entrée. Elle agit ici comme une poutre de soutien, un linteau. Le risque de mauvaise diffusion du ciment est très limité lors de cette procédure car le ciment est injecté dans l’os sain et non dans la tumeur. L’utilisation de vis avec un filetage sur toute la longueur permet d’optimiser la stabilité de la vis dans l’os sain. De même, le choix d’un trajet traversant une corticale saine épaisse et s’étendant le plus loin possible jusqu’à une autre corticale est idéal pour une meilleure consolidation. Pour les atteintes lytiques à haut risque fracturaire (diamètre > 5 cm, rupture corticale associée), la mise en place d’une vis cimentée doit être associée à une seconde vis cimentée, une broche cimentée ou une cimentoplastie seule. Le trajet des vis cimentées doit par ailleurs prendre en compte les contraintes biomécaniques qui s’exerce sur la zone menacée. L’aileron sacré Une métastase ostéolytique de l’aileron sacré devra être consolidée par une (ou deux) vis cimentée(s) insérée(s) par voie trans-sacro-iliaque dans les corps vertébraux de S1 (et S2) (figure 3). Le cotyle Une métastase lytique du toit du cotyle doit être consolidée par une vis cimentée trans-iliaque antérieure ascendante (figure 4). Une deuxième vis peut être associée en cas de métastases volumineuses, en parallèle de la première. Si cette métastase cotyloïdenne s’étend dans la colonne antérieure, une deuxième vis cimentée (ou broche cimentée ou cimentoplastie seule) cimentée par voie ilio-pubienne antérieure doit être associée. Si la métastase cotyloïdenne s’étend dans la colonne postérieure, une deuxième vis cimentée (ou broche cimentée ou cimentoplastie seule) par voie trans-iliaque antérieure descendante doit être associée (ostéosynthèse en « X »: figure 5). L’aile iliaque Les métastases ostéolytiques de la partie postérieure de l’aile iliaque n’entraînent pas un risque fracturaire important. Une consolidation à ce niveau est discutable. Par contre, lorsque la métastase lytique est localisée au-dessus de l’échancrure sciatique, une consolidation préventive est nécessaire. Celle-ci doit se faire par une vis cimentée par voie trans-iliaque postérieure. Si cette métastase est volumineuse, une deuxième vis cimentée peut-être associée, en parallèle. Si cette métastase de l’aile iliaque s’étend dans la colonne postérieure du cotyle, une deuxième vis cimentée (ou broche cimentée ou cimentoplastie seule) par voie trans-ischiatique doit être associée (ostéosynthèse en « T » : figure 6). La branche ilio-pubienne Lorsque la métastase lytique fragilise la branche ilio-pubienne, une vis ilio-pubienne doit être envisagée soit par voie antérieur si la métastase est proche du pubis, soit par voie postérieure si la métastase est proche du cotyle. Il faudra cependant faire particulièrement attention aux canaux déférents et à l’artère déférente chez l’homme lors d’une ostéosynthèse ilio-pubienne antérieure (figure 7). Le col du fémur Une métastase ostéolytique du col fémoral peut être consolidée par deux ou trois vis cimentées, insérées dans le grand axe du col et dont les extrémités cimentées se situent dans la tête fémorale (figure 8). L’efficacité de l’ostéosynthèse cimentée pour la prévention des métastases lytiques du bassin a été évaluée récemment par une étude rétrospective incluant 50 patients consécutifs (porteurs de 54 métastases ostéolytiques du bassin (diamètre, moyenne = 51 mm ± 21,5 mm ; extrêmes : 30-114 mm). Un total de 72 vis cimentées ont été insérées (moyenne : 1,4 6 0,6 par patient ; extrêmes : 1-3) pour une durée moyenne d’intervention de 102 minutes ± 41 et une durée moyenne d’hospitalisation après l’intervention de 2,5 jours ± 1,8. Le suivi moyen était de 22 mois ± 18 (extrêmes : 1-67 mois) et a dépassé un an chez 35 patients (70 %). L’efficacité de la consolidation à long terme était de 98 % (49 sur 50), avec le développement d’une fracture pathologique chez un seul patient 20 mois après la FICS, liée à une progression locale de la métastase. Les complications de la procédure étaient limitées à un hématome de résolution spontanée, une douleur sciatique inflammatoire transitoire et une douleur focale à la tubérosité ischiatique persistance pendant 4 semaines. L’efficacité de l’ostéosynthèse cimentée pour la consolidation préventive des métastases lytiques du col fémoral a été évaluée par une étude rétrospective (61 patients). La durée moyenne d’intervention était de 113 minutes ± 38 et la durée moyenne d’hospitalisation après l’intervention était de 2,5 jours ± 1,8. Le suivi moyen était de 17,7 mois. L’efficacité de la consolidation à long terme était de 92 %. Trois patients (5 %) ont souffert d’une fracture pathologique du col fémoral malgré la consolidation par ostéosynthèse cimentée et deux autres patients (3 %) ont été opérés (arthroplastie totale de la hanche) à distance de l’ostéosynthèse compte tenu de la poursuite évolutive de la métastase fémorale. Les complications de la procédure étaient limitées à trois hématomes douloureux de résolution spontanée. Suivi post-intervention Les soins de routine post-intervention comprennent une hospitalisation planifiée pendant 1 à 3 jours pour le contrôle de la douleur liée à l’intervention. Un suivi par imagerie et une évaluation clinique ciblée doivent être obtenus dans un délai de 1 à 2 mois pour vérifier la stabilité du matériel et l’efficacité antalgique. Un suivi trimestriel est nécessaire afin de ne pas méconnaître une progression tumorale locale qui pourrait déstabiliser l’ostéosynthèse et entraîner une fracture pathologique. Des compléments de consolidation peuvent alors être nécessaire lors d’une deuxième procédure.

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