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Publié le 30 mar 2022Lecture 7 min

Lipiodol marqué au rhénium 188 : agent d’avenir pour la radioembolisation

Étienne GARIN*, Xavier PALARD*, Christelle BOUVRY*, Nicolas LEPAREUR*, Yan ROLLAND**, Julien EDELINE***, service de médecine nucléaire*, Service de radiologie**, service d’oncologie***, CLCC Eugène Marquis, Rennes

La radioembolisation des tumeurs hépatiques repose principalement sur l’utilisation des microsphères radiomarquées. Le lipiodol, utilisé comme vecteur de drogue lors des chimioembolisations lipiodolées, peut également servir de vecteur d’agents radioactifs pour la radioembolisation. Initialement marqué avec l’iode 131, actuellement différents marquages du lipiodol avec le rhénium 188 sont utilisés en quasi routine en Asie ou sont en développement de type phases précoces.

Lipiodol marqué à l’iode 131 (Lipiocis®) : qu’avons-nous appris ? Le marquage du lipiodol était réalisé de façon directe par substitution d’un atome d’iode froid par un atome d’iode 131, le lipiodol étant naturellement riche en iode (38 % de son poids). De ce fait l’131I-lipiodol sert de référence pour la compréhension des phénomènes de captation/élimination et la comparaison de nouveaux vecteurs lipiodolés. Par ailleurs l’131I-lipiodol a été utilisé en routine pendant de nombreuses année (Lipiocis® CIS bio international). Un mécanisme de captation de l’131I-lipiodol différent de celui des microsphères Malgré une part d’embolisation microscopique au niveau artérielle, comparable avec ce qui est observé pour les microsphères, le lipiodol présente deux différences fondamentales au niveau de son mécanisme de captation : une pénétration jusqu’au niveau des capillaires sinusoïdes et une incorporation au niveau des cellules tumorales(1). Ces différences confèrent à ce vecteur deux avantages théoriques importants pouvant avoir un impact positif sur l’efficacité : l’irradiation plus homogène et directe des cellules tumorales. Le lipiodol radiomarqué présente également un avantage en terme de tolérance : aucun cas d’ulcère gastrique n’a été décrit après traitement par Lipiocis® ; d’autre part, les traitements étaient classiquement réalisés de façon non sélective, souvent en foie total sans risque majeur de décompensation(2). Un intérêt clinique démontré du Lipiocis® pour le CHC avec thrombose porte et en adjuvant L’intérêt clinique du Lipiocis® avait été démontré en traitement palliatif dans le CHC avec thrombose porte dès 1994 par une étude randomisée trop souvent oubliée par la communauté médicale(3). Certes, l’effectif était faible (27 patients) mais l’étude avait dû être stoppée par anticipation par le comité d’éthique vu la différence de survie globale retrouvée, avec un taux de survie à 6 mois de 48 % pour le bras Lipiocis® contre 0 % dans le bras traitement de support (p < 0,01)(3). Le Lipiocis® avait obtenu son AMM suite à cette étude. En situation adjuvante, principalement après chirurgie, les 3 études randomisées(4-7) et les 2 études rétrospectives comparatives(8,9) disponibles, d’effectif supérieur à 20 patients par bras, ont retrouvé des résultats concordants pour 4 d’entre elles avec une amélioration significative et importante de la survie sans récidive (SSR), avec un taux de SSR quasiment doublé à 3 et 5 ans avec le Lipiocis® adjuvant (tableau 1). La seule étude randomisée négative sur la SSR a été stoppée par anticipation du fait d’un recrutement faible. Une tendance à une amélioration de la survie globale a été également rapportée dans 2 études(8,9) et une différence significative importante dans une des études randomisées(4) avec un taux de survie globale à 3 ans de 86,4 % pour le bras adjuvant contre 46,3 % seulement pour le bras sans traitement adjuvant (p = 0,039). L’efficacité du Lipiocis® a été secondairement confirmé par une métaanalyse(10) comportant une analyse poolée sur 334 patients, retrouvant en outre une efficacité sur la survie globale avec un odd ratio de 0,5 en faveur du Lipiocis® adjuvant. Cette efficacité du lipiodol radiomarqué en adjuvant est importante à souligner, car à ce jour aucun traitement adjuvant n'est validé pour le CHC et constitue une voie de développement. Les limites de l’131I-lipiodol Les limites étaient principalement liées à la forte irradiation de l’entourage par l’iode 131 (émission d’un rayonnement gamma fortement énergétique, 364 KeV, demi-vie prolongée de 8 jours), à la présence d’une élimination urinaire importante témoignant d’une instabilité in vivo (30 à 50 % de l’activité injectée à J8(11)) et à la survenue de cas de complications pulmonaires rares mais graves (les traitements n’étaient pas précédés d’un work-up avec évaluation de shunt pulmonaire) ayant finalement conduit au retrait du marché du Lipiocis® par l’ANSM en 2010. Du fait de ces limites, en particulier du fait de l’utilisation d’iode 131, de nombreux travaux de développement d’un lipiodol marqué avec un autre radioélément, 90Y ou 188Re, ont été conduits. Les tentatives de marquage avec 90Y ont échoué et ont été abandonnées, seul le marquage du lipiodol au 188Re est encore utilisé ou en développement clinique(12). Le rhénium 188, un radioélément d’intérêt Le 188Re est un métal dont les propriétés chimiques sont proches de celles du 99mTc, isotope le plus couramment utilisé en médecine nucléaire conventionnelle pour les activités diagnostiques. Il émet un une particul ß fortement énergétique (2,18 MeV), ainsi qu’un rayonnement gamma relativement peu énergétique (155 keV), donc peu irradiant mais per- mettant une détection externe. Sa demi- vie courte (17 heures) limite également les problèmes de radioprotection comparativement à l’iode 131. Comme le 99mTc, le 188Re est produit à partir d’un générateur 188W/188Re permettant un approvisionnement en 188Re en radio-pharmacie hospitalière de plusieurs mois du fait de la demi-vie prolongée du tung-stène 188 (64,9 jours), et ce à un coût maîtrisé (actuellement 30 à 50 k€ en fonction de l’activité du générateur). Marquage du lipiodol au 188Re et candidats potentiels Le marquage directe (liaison chimique) d’une molécule de lipiodol par le 188Re est impossible et le marquage repose sur la synthèse de complexes fortement lipophiles du 188Re, secondairement dissous dans le lipiodol. D’un point de vue radiochimique, différents points, outre la pureté radiochimique, sont importants à vérifier : le rendement de marquage (plus il est élevé, plus il sera aisé de faire la synthèse de lots thérapeutiques de forte activité) et la stabilité du marquage en particulier in vivo (c’est-à-dire l’absence ou l’élimination urinaire ou fécale faible de 188Re). À ce jour, différents complexes de 188Re ont été décrits mais seul le 188Re-HDD lipiodol a poursuivi son développement après la phase I, ainsi que le 188Re-SSS lipiodol qui va entrer en phase II. Les autres marquages ont été abandonnés avant ou juste après la phase I du fait de rendement de marquage insuffisant et/ou d’une instabilité insuffisante. En effet, comme avec l’131I-lipiodol, une instabilité in vivo, avec élimination urinaire importante, reste un des écueils majeurs de la radiochimie de la plupart des complexes de rhénium 188. Cette instabilité in vivo est particulièrement pénalisante car elle entraîne une diminution de la biodisponibilité intratumorale de l’agent radioactif, et donc une réduction de la dosimétrie tumorale et une baisse d’efficacité. Résultats cliniques à avec le 188Re-HDD lipiodol Malgré une stabilité in vivo non optimale (avec 44 % de l’activité injectée éliminée par les urines en 72 heures(13)) les 4 études post-phase I les plus importantes ont retrouvé des résultats cliniques intéressants (tableau 2). La première étude(14) de phase I-II a inclus 16 patients en phase I classique d’escalade de dose de médicament (comme le Lipiocis®, le lipiodol marqué au 188Re est considéré comme un médicament radiopharmaceutique) et 54 patients en phase IV. La dose maximale tolérée (DMT) n’a pas été atteinte et une dose de 7,4 GBq a été bien tolérée chez les 6 patients ayant reçu cette activité. Le taux de réponse était de seulement 18 % (critères WHO). Deux autres études ayant inclus 90(15) et 185(16) patients non opérables avec CHC avancés (lésions très volumineuses de taille moyenne de 9,1 et 10,3 cm ; invasion porte pour 37 % des patients dans l’une d’elles(15)), retrouvent un taux de réponse compris entre 22 et 33 % et une survie globale comprise entre 8,7 et 12 mois. Ces résultats sont relativement comparables à ceux observés dans le bras sans dosimétrie personnalisée de l’étude DOSISPHERE-01 avec les microbilles marquées à l’yttrium 90 (14 % de réponse globale en critère RECIST et survie de 10,7 mois)(17). La dernière étude, publiée récemment(18), a inclus 42 patients traités de façon supra- sélective avec une activité moyenne injectée relativement modérée, de 2,4 ± 0,9 GBq de 188Re-HDD lipiodol, pour un CHC non opérable unique de taille < 150 cc. Le taux de réponse est beaucoup plus élevé que pour les études antérieures (lésions plus petites, abord supra-sélectif maximisant la dosimétrie tumorale), de 76 % avec les critères EASL, égalant les résultats de la segmentectomie radique rapportés dans l’étude princeps de Riaz et coll.(19). La tolérance était satisfaisante avec une élévation de la bilirubine dans seulement 4,7 % des cas. Les résultats de ces études sont à contre-balancer par l’utilisation d’un produit non optimal avec forte biodégradation et une absence d’approche dosimétrique personnalisée à la tumeur, approche qu’il sera important de développer avec le lipiodol radiomarqué comme cela a été fait avec les microsphères marquées à l’yttrium 90. Par ailleurs, les critères de sélection des patients étaient moins rigoureux qu’actuellement avec une proportion importante d’hépatopathie avancée (Child B)(15,16). Une première étude dosimétrique(20), réalisée chez 88 patients de l’étude de Bernal et coll.(16), retrouve malgré l’élimination urinaire du produit non pris en compte, un impact important de la dosimétrie tumorale sur la survie globale, retrouvée à 15,4 mois pour une dose absorbée tumorale > 30 Gy contre seulement 4,8 mois pour une dose < 30 Gy. Le 188Re-SSS lipiodol, agent d’avenir Le 188Re-SSS lipiodol est le marquage qui présente les meilleures caractéristiques radiochimiques avec un rendement de marquage élevé et surtout une forte stabilité in vivo démontrée par une étude préclinique sur le porc sain(21). Cette forte stabilité in vivo a été confirmée avec l’étude de phase I Lip-Re-1 ayant retrouvé une élimination urinaire et fécale à 72 heures très faible, < 2 % pour les 6 premiers patients traités(22) (figure 1). Cette stabilité supérieure aux autres complexes est liée au fait que le complexe 188Re-SSS est le seul pour lequel le 188Re est au niveau III d’oxydo-réduction (plus difficile à obtenir mais plus stable que le niveau V, niveau de tous les autres complexes décrits), et constitue une avancée technologique importante. Les résultats complets de cette étude de phase I, qui ont par ailleurs confirmé la qualité du ciblage tumoral et une activité tumoral intéressante (figure 1), sont en cours de publication et ont servi de justification pour réaliser une demande de financement PHRC, qui a été obtenue pour la mise en place d’une étude de phase II.

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